Justin KANKWENDA MBAYA: COMMENT GÉRER LA PANDÉMIE DU COVID 19 ET GOUVERNER LE DÉVELOPPEMENT DE LA RDC ?

COVID-19

Le tableau politique dans notre pays n’est pas loin d’une certaine théâtralisation des enjeux de gouvernance et du développement par les acteurs et décideurs politiques, qu’ils soient à l’avant-scène ou derrière les rideaux. Chaque semaine ou presque, il est insufflé un fait sensationnel nouveau, souvent bénin qui fait la une de l’actualité : une déclaration, un acte posé, etc. Ce fait alimente les débats dans l’activité des institutions républicaines, dans les médias et en particulier dans les médias sociaux, dans les conversations citoyennes, etc. Il accapare les énergies et occupe ou préoccupe les populations.

De semaine en semaine ou d’un mois à l’autre, le sensationnel de l’actualité factuelle domine. Il détourne l’attention des acteurs politiques et des énergies populaires et de leurs forces organisées. Et la pièce de théâtre politique continue. Mais la pièce va se terminer au bout d’un temps, et les populations et leurs organisations citoyennes ou politiques vont se réveiller : les problèmes réels de leur existence, sur lesquels on avait mis une sourdine durant le théâtre, vont réapparaître avec plus de virulence qu’auparavant. Y a-t-il un malin esprit qui régente le jeu et le déroulement de la pièce quelque part ?

On ne triche pas avec la réalité, car elle revendiquera sûrement, et imposera même, son existence et sa reconnaissance. On ne peut pas continuellement l’ignorer. La gouvernance, même celle d’une petite communauté, doit en être consciente, et savoir piloter la marche de son entité sans se laisser aller ou se laisser noyer dans le jeu du sensationnel de l’actualité qui se veut brûlante, ni s’empêtrer dans le marais de la conjoncture, en perdant de vue les problèmes structurels et de construction d’une vie meilleure pour les populations.

C’est dans ce paysage politique théâtralisé que tombe la pandémie du Covid-19, apparu officiellement le 10 mars dernier. La pandémie est réelle et on ne peut se voiler la face à ce sujet. Mais on ne peut pas manquer de noter qu’elle a ajouté de l’eau au moulin des compositeurs-metteurs en scène et acteurs de la pièce théâtrale qui se déroule actuellement dans le paysage politique de la RDC. Il faut la gérer efficacement et la vaincre. Une architecture organisationnelle est mise en place à cet effet. Des experts et techniciens appuient les politiques qui ont cette responsabilité. Le gouvernement doit gérer et vaincre la pandémie pendant et dans le cadre de sa gouvernance du développement du pays. La pandémie est apparue comme une manifestation conjoncturelle rebelle des problèmes et déficits structurels de la société congolaise, et de leur gouvernance.

Je me suis fait quelques réflexions sur cette situation, et voudrais partager mon analyse avec mes compatriotes à travers ce texte. Ce dernier est structuré en trois parties. Il examine d’abord le contexte national d’éclosion de la pandémie du Covid-19 sur les plans économique, social et de gouvernance ; ensuite il analyse les impacts du point de vue de la gouvernance et du développement économique et social ; et enfin il discute les propositions de réponse et les stratégies annoncées à cet effet, avant d’esquisser une petite conclusion.

  1. La crise du Covid 19 dans le contexte national de développement

Pour mieux affronter la pandémie en tant que maladie qui affecte le monde et le pays, et en saisir correctement les impacts sur la société, il est important de passer par un examen de la situation de départ dans laquelle la pandémie tombe. Cette situation peut être appréhendée au triple point de vue ou des dimensions de la gouvernance du développement : le contexte économique du développement, le contexte social, et le contexte de gouvernance politique.

  • Le contexte économique national

C’est un contexte de fragilités. Comme l’indiquent les cinq derniers rapports annuels (2014 à 2018) de la Banque Centrale du Congo (BCC), après 2014, la croissance économique a accusé une tendance au ralentissement continu des activités économiques, malgré une évolution en dents de scie suivant la conjoncture extérieure des cours des matières premières exportées par la RDC, en particulier dans le secteur d’extraction minière. Alors que les prévisions et projections situaient la croissance économique à 5,8%, et les prévisions des recettes publiques calculées sur cette base, l’enthousiasme de départ a été sérieusement bousculé. Les prévisions officielles de croissance annoncent maintenant un taux négatif, donc une régression économique pour 2020.

Répétons ce que tout le mode connaît et que la BCC ne cesse d’affirmer : le modèle économique actuel qui façonne celui de la croissance économique, est un modèle fragile, non inclusif et dépendant. La fragilité de ce modèle de croissance basée et portée par le secteur d’exportation de ressources minières, se manifeste depuis quelques décennies, marquée ainsi par une grande vulnérabilité aux fluctuations des cours sur les marchés extérieurs des produits miniers exportés par la RDC.

Par ailleurs, l’histoire récente indique que la croissance économique au Congo a été inégalement portée par quelques secteurs selon la conjoncture, et ce, en rapport avec les distorsions structurelles de l’économie congolaise. Cette dernière a gardé sa structure d’économie extravertie, dont les principaux piliers sont les secteurs d’exportation des matières premières, à l’exception des matières premières agricoles dont certaines ont même disparu du tableau des exportations congolaises.

La mise en œuvre des programmes de réformes, l’engouement des investisseurs étrangers vers les secteurs d’exportations, le développement des secteurs spéculatifs et des services marchands, tout cela a constitué le fil conducteur et la toile de fond de la croissance au cours de la dernière décennie.

Le fonctionnement du secteur d’exportations minières en mode d’îlots de croissance, sans connexion ni effets d’entraînement sur les autres secteurs productifs de l’économie, ni sur les franges sociales qui y sont liées, la désertification industrielle (disparition significative de l’industrie manufacturière), la faible attention accordée à l’agriculture et en particulier à l’agriculture paysanne, la précarité des secteurs d’appui à la croissance (infrastructures, transports, énergie, etc.), tout cela souligne les faiblesses et les défis économiques auxquels la nouvelle gouvernance doit relever.

Ce modèle de croissance ne renforce pas la construction d’un tissu économique porteur, et il contribue à la désarticulation de l’espace national au lieu de construire un espace économique intégré. La croissance économique qui en résulte ne peut donc bénéficier de manière équitable ni aux populations, ni aux régions, ni encore aux autres secteurs économiques. C’est un modèle de désarticulation sectorielle, sociale et géographique.

Et comme il s’agit d’un modèle porté par la demande extérieure, la demande intérieure a vu son rôle se réduire fortement dans la croissance, qu’il s’agisse de la demande publique ou privée. Celle des ménages, qui est principalement une demande de consommation, a même connu des années de décroissance, car elle est ignorée comme facteur de croissance de l’offre intérieure, et donc de la croissance économique.

L’économie mondiale dont dépend l’économie de la RDC étant en crise larvée depuis quelque temps – le ralentissement de la croissance en Chine (principal partenaire économique de la RDC) et en Inde, la stagnation en Europe et aux États-Unis, le ralentissement ou même la stagnation dans d’autres pays dits émergents, la pandémie est ainsi arrivée comme un détonateur de la crise et non sa cause. Et l’économie de la RDC ne pouvait y échapper.

Tout cela ne permet pas de donner à l’économie du pays des ressorts de résilience économique et financière solides, en vue de constituer des capacités institutionnelles de faire face aux catastrophes naturels ou sociaux, surtout quand cela est doublé d’un mode de gouvernance prédateur, peu attentif à ces aléas, et de ce fait, peu efficace. La pandémie du Covid-19 tombe donc dans ce contexte fragile et vulnérable de l’économie nationale. La gouvernance de cette dernière n’est pas maîtrisée par des ressorts internes.

Par ailleurs, que ce soit du point de vue de sa composante la plus importante – la production et l’offre pour les marchés extérieurs -, ou de celui de sa composante de la production et l’offre pour le marché intérieur, l’économie congolaise est aux mains du capital privé étranger qui la domine.

  • Le contexte social du développement

La crise du Covid-19 tombe en RDC dans un contexte social plus que fragile. Il est marqué par des traits significatifs suivants : le niveau élevé de pauvreté, celui d’inégalités socioéconomiques croissantes, celui du chômage et du sous-emploi, la grave insécurité alimentaire et nutritionnelle, et le faible niveau de développement humain.

La RDC avait certainement fait des progrès entre 2005 et 2012 comme la prévalence de la pauvreté avait baissé de 71,34 % à 63,41 % environ (INS Enquête 1-2-3, 2012). Mais le niveau de 2012 reste tout de même très élevé. En outre et compte tenu de l’évolution de la situation politique caractérisée notamment par des conflits, de l’insécurité et de l’instabilité institutionnelle, qui ont affecté l’évolution de la situation économique et sociale du pays, la prévalence de la pauvreté a dû certainement s’aggraver depuis lors. Des manifestations politiques et sociales de cette aggravation de la prévalence de la pauvreté sont nombreuses et variées, et l’apparition de nouvelles stratégies de survie des ménages et des populations en témoignent au quotidien, dans les villes comme dans les campagnes.

Le fonctionnement d’un modèle économique, avec une croissance non inclusive ni sur le plan social, ni sur le plan économique, ni sur le plan géographique ; et sans création significative d’emplois ni directs ni indirects, y est certainement pour quelque chose. Le modèle économique apparaît comme un modèle d’exclusion ou de marginalisation sociale, et donc de détérioration continuelle des conditions de vie des populations.

Comme indiqué par différentes études (Ministère du Plan 2012 et 2019, PNUD 2017, INS E-QUIBB 2016, etc.), pour mieux prendre la mesure de l’état réel de la prévalence de la pauvreté de masse dans le pays, il est important de tenir compte de la dynamique des inégalités socioéconomiques et des disparités régionales dans le pays. L’étude du PNUD a montré que cette dynamique était cumulative. C’est dire que les inégalités se conjuguent et s’accumulent, et les distances sociales deviennent de plus en plus grandes, que ces inégalités soient mesurées en fonction des revenus, des actifs, des coefficients appropriés (Gini par exemple) ou de comparaisons de quintiles socioéconomiques de la population ou de la situation alimentaire.

Selon les données de la BCC, le taux de chômage a fortement fluctué au cours de la dernière décennie, mais demeure supérieur à 50%, bien que la Banque nationale ne les publie plus dans ses derniers rapports annuels. Ces chiffres sont effrayants, contestant ceux calculés avec la méthode BIT comme ailleurs dans le monde de l’économie libérale. Le niveau élevé de chômage en RDC, découle de la nature même d’une croissance économique tirée par les industries minières extractives dans le contexte de la crise de l’agriculture.

Malgré sa contribution importante à la croissance économique en RDC, le secteur des industries extractives minières n’a pas créé des emplois ni contribué de manière significative à la réduction de la pauvreté. La création d’emplois est pour ce secteur, une augmentation des coûts d’exploitation qu’il cherche à réduire au contraire, avec une mécanisation poussée de ses activités. En outre, la chute des secteurs à large base sociale comme l’industrie et l’agriculture, témoigne de la faible place que ces secteurs occupent dans les politiques nationales et le modèle de croissance et de développement. Ce qui est très limitatif en termes de création d’emplois, de croissance inclusive et de potentiel de lutte contre la pauvreté.

Le retour de la paix et le regain de la croissance économique à partir de 2002 avaient auguré d’un climat propice pour l’investissement et l’emploi. Mais le nombre d’emplois créés a évolué en dents de scies, accusant en fin de compte une tendance régressive.

Le secteur informel reste par défaut le seul gisement important d’emplois. Ce qui explique en partie l’importante prévalence de la pauvreté dans le pays. Car dans la majorité des cas, l’emploi informel est très précaire et mal rémunéré (INS, Enquête 1-2-3 de 2012, et E-QUIBB 2016). Les activités de ce secteur étant d’abord des activités de survie.

Toujours sur le plan social, la situation alimentaire est très préoccupante. Dans sa préface à l’étude sur la sécurité alimentaire en RDC (Ministère du Plan, 2019), le Prof J.J. Muyembe Tamfum écrit qu’il a découvert qu’il y a deux types d’épidémies qui rongent le pays et/ou le menacent : celui le plus médiatisé, et qui attire l’attention et les énergies comme l’épidémie à virus Ebola, et cela vaut aujourd’hui pour la pandémie du Covid-19 ; et celui plus dangereux mais rampant et ignoré, peu ou pas médiatisé du tout, qui est celui de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle en RDC.

En effet, l’insécurité alimentaire et la malnutrition chronique frappent durement les ménages congolais. Un récent bilan du Ministère de l’Agriculture situe le déficit alimentaire du pays à 6,9 millions de tonnes, soit 22% des besoins alimentaires nationaux. L’analyse intégrée de la sécurité alimentaire et nutritionnelle menée en juin 2018 indique, dans le cadre du 16e cycle de l’IPC, que le nombre de personnes en crise alimentaire a presque doublé, entre 2017 et 2018, passant de 7,7 à 13,1 millions. Par ailleurs, les résultats de l’enquête QUIBB (INS, 2016) attestent que 49,5% des ménages congolais, soit environ un ménage sur deux, sont confrontés au problème de l’insécurité alimentaire, avec 16,4% d’entre eux qui sont sévèrement affectés. Seize (16) provinces sur vingt-six (26) ont un niveau d’insécurité alimentaire et nutritionnel supérieur à la moyenne nationale de 49,5% des ménages. Plusieurs facteurs expliquent cette grave situation dans un pays à potentiel agricole aussi scandaleux que géologique.

Dans le même ordre d’idées, les données disponibles (Ministère du Plan, Éliminer la faim en RDC, 2019) attestent qu’environ 6 millions d’enfants sont malnutris, et 7,2 millions de femmes souffrent d’anémie. Par ailleurs la malnutrition chronique atteint 43% des enfants depuis des années, ce qui est un problème structurel. Les apports insuffisants en aliments quantitativement et qualitativement, ainsi que les maladies diarrhéiques constituent les principales causes immédiates de la malnutrition.

La RDC est parmi les pays é indice de développement humain faible malgré son immense potentiel économique et social, et c’est de notoriété publique. Après une longue période, avec un IDH qui avait accusé une progression entre 1980 et 1990 grimpant de 0,336 à 0,355, la RDC a affiché une chute de cet indice au cours des deux décennies suivantes. C’est à partir de la décennie 2010 que la remontée semble se maintenir, et que le pays a commencé à afficher un niveau d’IDH en progression, pour atteindre le niveau de 0435 (PNUD, 2016). Cette amélioration de l’IDH doit être relativisée par rapport à la moyenne de cet indice en Afrique subsaharienne, qui est passé de 0,499 à 0,523 sur la même période, tandis que celui de la RDC est resté en dessous de ces valeurs, passant seulement de 0,408 à 0,435. La lenteur des progrès dans ce domaine s’explique notamment par celle de ses composantes.

La pandémie tombe ainsi dans un contexte social de fragilité du tissu social, de faible cohésion nationale, de faible sentiment d’appartenance, et de quasi-désespoir social sur l’avenir. La gestion de la crise du Covid-19 devra intégrer cette dimension dans sa stratégie ou son plan de réponse.

  • Le contexte de gouvernance politique du pays

La pandémie est tombée pratiquement un an après le changement de leadership politique à la tête du pays. Compte tenu des conditions particulières de ce changement, le nouveau leadership est contraint de gouverner dans un cadre partagé, ou un contexte d’une coalition fragile de forces politiques. Les idéologies politiques en coalition sont celles qui se combattaient sérieusement hier. La paix revient, mais elle doit encore être consolidée sur l’ensemble de l’étendue du territoire national. Des poches de conflits et d’insécurité existent encore ici et là.

Pour construire une société en ruines sur tous les plans – politique, économique, social, culturel, environnemental -, il faut des forces porteuses de ce changement, et qui l’assument. L’histoire et l’expérience montrent qu’on ne reconstruit pas, ou ne construit pas du nouveau avec ceux qui ont détruit l’édifice en ruines. Réussir le changement pour le meilleur du pays et des populations devient ainsi un défi de gouvernance politique important. Et ceci affecte la dynamique politique de la gouvernance du pays, y compris en cette période de la pandémie. Même si cela ne semble pas apparaître au grand jour, l’analyse avertie de cette gouvernance ne peut le nier.

Une coalition de gouvernance entre les forces du changement et celles du statu quo peut au mieux faire du surplace. Car quand les forces du changement veulent aller de l’avant dans la construction, celles du statu quo pagaient dans le sens contraire, que ce soit sous les apparences de l’harmonie proclamée, ou parfois ouvertement. Tout changement réussi apporte du crédit politique au nouveau leadership et non à la coalition, et encore moins aux forces du statu quo. C’est pour cela que le contexte politique de la gestion de la crise de la pandémie est un contexte fragile.

L’alliance de gouvernance au pouvoir est entachée d’une faible stabilité institutionnelle. Et cela peut conduire à une incohérence gouvernementale des actions voilées ou ouvertes de sabotage ou même à une crise gouvernementale. En outre la gouvernance politique repose sur une gouvernance administrative politisée depuis des années. Cette dernière fonctionne sans boussole ni engagement, ni capacités pour gérer un processus de développement. Elle n’en a pas l’expérience. Car l’État en RDC est historiquement ancré dans la logique « bulamatarienne » d’un État casseur des pierres, c’est-à-dire des résistances à sa logique de domination, un État qui met les populations à son service et non l’inverse.

Par ailleurs, la RDC a depuis des années, entrepris une multitude de réformes dans tous les domaines ou dimensions de la gouvernance en général, et de celle du développement en particulier. Mais les progrès sont douteux, et la réussite des résultats escomptés n’est pas au rendez-vous. Beaucoup de ces réformes se donnaient comme objectifs de déraciner les maux des paramètres clés de la gouvernance démocratique : transparence dans la gestion, participation des populations, redevabilité des dirigeants, Justice indépendante et État de droit, lutte contre la corruption, gouvernance du développement. Or ce que ces réformes, largement soutenues par les partenaires qui en étaient les vrais porteurs et financiers, voulaient changer, portait sur des antivaleurs qui faisaient justement l’essence du pouvoir et du mode de gouvernance en place. Ces derniers ne pouvaient donc pas en être porteurs politiques réels, et encore moins efficaces, pour conduire lesdites réformes avec succès.

Il ne pouvait en résulter une amélioration des performances de la gouvernance. Les résistances et hésitations, le fait que les réformes sont plus portées par les partenaires que par le leadership politique, les facteurs liés aux capacités institutionnelles, le climat de corruption, tout cela constitue un lot de caractéristiques du contexte politique de gestion de la pandémie du Covid-19 aujourd’hui.

C’est dire que les stratégies de réponse ne peuvent ni se limiter seulement à la gestion de la dimension sanitaire de la catastrophe, ni ignorer ces importantes dimensions du contexte de la pandémie, car cette dernière les affecte toutes, et sont des composantes de la gouvernance de la catastrophe. En outre, la gestion de la pandémie ne peut être limitée ni à la dimension conjoncturelle de la crise du Covid-19, ni à seulement à certaines de ses conséquences les plus visibles. Pour être efficaces, les stratégies de gestion de la pandémie devraient considérer les emboitements entre les conséquences conjoncturelles de la pandémie et les distorsions structurelles (politiques, économiques et sociales) qui en font la base. Sans perdre leur connotation « urgence humanitaire » ces stratégies doivent être élaborés et mises en œuvre dans une perspective de solution aux problèmes structurels de la gouvernance du développement. Le Covid-19 en donne l’opportunité.

Tout le monde est sensible à l’urgence humanitaire et notamment les partenaires au développement de la RDC. Mais ils vivent tous des difficultés économiques et financières dues à la crise de la pandémie sur leurs économies et leurs sociétés. Ils n’auront pas la tâche politique facile de trouver de nouvelles ressources d’aide pour répondre aux besoins de gestion de la pandémie en Afrique en général, et en RDC en particulier. C’est dire qu’il ne faudra pas non plus développer des stratégies de réponse nationale à la pandémie, en comptant principalement sur l’apport des ressources des partenaires, quand bien même certains d’entre eux seraient très sensibles et disposés à cet effet.

Par ailleurs, et bien que vécu comme événement conjoncturel très préoccupant, notamment à cause de la panique sociale existentielle que la pandémie provoque, avec sa facilité de contamination, les conséquences de la catastrophe actuelle du Covid-19 sur les capacités de gouvernance politique et de développement, affichent ou mettent au grand jour, aussi bien des faiblesses et problèmes structurels de gouvernance du pays, que des faiblesses institutionnelles de réponse conjoncturelle appropriée.

 

En mettent à l’avant-plan un problème d’urgence humanitaire réel, et qui de ce fait ne peut être marginalisé, et qui va momentanément attirer l’attention et les efforts du pays, et l’attention des partenaires, la pandémie du coronavirus a tendance à changer l’ordre prioritaire d’orientation des efforts et des énergies de la Nation, en particulier dans ce contexte de crise économique mondiale, avec les perspectives de récession dans les pays aussi bien riches que les pays dits émergents.

 

Tout cela va avoir un impact ou des impacts indéniables – du moins à court terme -, sur le niveau des ambitions de gouvernance et d’exécution des programmes de développement économique et social. C’est pourquoi il est important qu’après la connaissance du contexte d’éclosion de la pandémie du Covid-19, il faut analyser ces impacts, et les prendre en compte dans une perspective développementaliste, et donc structurelle.

 

  1. La pandémie du Covid-19 et ses impacts sur la société congolaise

L’impact de la pandémie sur la société congolaise dépend de la virulence sociale de l’éclosion de la maladie, de sa durée, et du contexte historique dans lequel il est apparu sur les plans économique, social et de gouvernance politique. C’est pourquoi la première section a été consacrée à l’examen de ce contexte. La pandémie ayant fait à peine trois mois dans le pays, l’analyse de son impact sur tous ces plans combine les impacts réels à très court terme (quelques trois mois), et surtout les impacts virtuels, pensés ou prévisibles, auxquels on doit s’attendre dans les prochains mois et mêmes dans les prochaines années.

Par ailleurs, les impacts peuvent être directs ou indirects, découlant dans ce dernier cas, soit des mesures sanitaires prises (confinement notamment), soit des effets et conséquences des impacts directs. Les impacts dépendent aussi de la durée de la pandémie dans le pays en général, et dans les régions économiquement stratégiques en particulier, qui sont aussi des concentrations humaines importantes, et ont une portée socioéconomique et politique significative pour le développement du pays. L’analyse, fusse-t-elle anticipative des impacts de la pandémie, retient également que cette dernière a généralement des impacts dans le temps. Certains apparaissent durant la phase de prévalence virulente ou pas du Covid-19, tandis que la majorité des effets de la pandémie arrive même après qu’elle aura été vaincue. On peut regrouper les impacts en quatre catégories : les impacts sanitaires, les impacts économiques, les impacts sociaux, et les impacts sur la gouvernance politique.

 

  • Les impacts sanitaires

Dans leur essence, ils font en principe partie des impacts sociaux, mais sont mis en exergue ici, du fait de leur acuité et de leur virulence qui en soulignent la dimension sociale et nationale. Après tout, la crise du Covid-19 est d’abord une crise ou une urgence sanitaire. Sur ce plan, la pandémie a augmenté la morbidité et la mortalité dans le pays, même si les régions et les catégories sociales sont inégalement affectées.

Tombant dans un contexte sanitaire marqué par certaines faiblesses dues à la pauvreté humaine dans ses différentes composantes, la prévalence de certains types de maladies (endémiques habituelles et infectieuses surtout), la pandémie du Covid-19 a montré une capacité de transmission et d’expansion sociale rapide, en particulier dans les grands centres urbains. Lorsqu’un corps social accuse déjà des faiblesses sanitaires, il devient un terrain fertile de propagation des maladies ou d’aggravation de celles dont il souffre déjà. À moyen terme cela va contribuer à faire baisser le nombre d’années d’espérance de vie à la naissance.

Il n’est pas exclu que les personnes guéries affichent des séquelles qui affectent leurs capacités productives dans l’avenir, mais cela reste une hypothèse. Dans un pays où les malades du Covid-19 recourent à différents types de soins, y compris l’automédication aux plantes et herbes, et même aux fétiches de tout genre, le contrôle sanitaire de la pandémie a des limites d’efficacité. Des décès parallèles de ces autres modes de soins ne sont pas évitables. Un des impacts directs sur ce plan est d’ailleurs la prolifération des médecines parallèles. La pandémie et sa propagation ont réveillé des relents de posture mentale traditionnelle par rapport à la maladie. Cette posture est teintée de peur certes, mais aussi de stratégie spiritualiste envers l’épidémie.

Jouant comme détonateur, la pandémie a contribué à mettre au grand jour les déficits structurels de notre système de santé. De manière générale, ce dernier n’est pas suffisamment équipé pour répondre aux catastrophes de ce genre. Il lui manque à la fois les moyens et les capacités institutionnelles, organisationnelles et techniques appropriées pour relever le défi d’une pandémie de cette nature, et de cette ampleur. Le pays a vécu l’expérience de la lutte contre l’épidémie à virus Ebola à plusieurs reprises, et qui a eu à montrer les mêmes faiblesses, qui sont encore actuelles.

J’avoue que je suis analphabète et profane dans ce domaine. Le Ministère de la Santé Publique et l’architecturer de riposte mise en place par les autorités sont plus compétents dans cette analyse des impacts sanitaires de la pandémie du Covid-19, et je ne serai pas tenté de m’avancer outre mesure.

  • Les impacts économiques

On peut les distinguer ou grouper en quatre catégories : ceux portant sur la production des richesses et donc sur la croissance économique, sur la rupture des chaînes d’approvisionnement (circulation/distribution), le commerce et les marchés, sur les moyens financiers de l’État et des entreprises, et ceux portant sur la demande des biens et services.

Comme déjà indiqué par le Comité Permanent du Cadrage Macroéconomique (CPCM), la croissance économique va sérieusement baisser au cours de cette année. Le taux de croissance s’annonce négatif. L’impact économique du Covid-19 est lié aux problèmes structurels de l’économie congolaise. En effet, la crise économique mondiale, aggravée par l’impact de la pandémie dans les économies des pays qui sont des puissants partenaires économiques de la RDC (dont la Chine et l’UE en particulier), va affecter à la baisse leur demande des matières premières produites dans ce pays. On doit donc s’attendre à la baisse des activités de production dans le secteur minier en particulier, mais aussi dans les autres secteurs d’exportation comme la foresterie par exemple.

 

Bien que n’étant pas frappé de plein fouet, le secteur agricole accusera le coup de la pandémie. Sa production va aussi baisser même si ce n’est pas dans les mêmes proportions que le secteur d’exportation. Et cela pour plusieurs raisons dont ses traditionnelles et chroniques faibles capacités productives, la faiblesse de sa force de travail due à la situation sanitaire, la baisse du temps de travail en équipes du fait du confinement, la baisse de la demande du fait de l’aggravation de la pauvreté, etc.

 

La pandémie a créé un climat peu stimulant pour prendre les risques et initiatives d’investissement. Ceci va affecter non seulement les investissements industriels, mais aussi les investissements dans le secteur de la construction et du bâtiment entre autres, qui est un autre secteur important pilier de la croissance en RDC. Et ce climat peut durer.  De ce fait les secteurs de soutien à la croissance se verront en faible demande (transports et communication, énergie, etc.), et vont fonctionner au ralenti. Il y en a qui vont simplement arrêter certaines de leurs activités.

 

Le tertiaire marchand et non marchand va aussi en pâtir et il en pâtit déjà. Ceci est valable pour le commerce qui pèse dans ce secteur, les services marchands dont ceux de l’industrie touristique (hôtellerie, restauration…), les activités bancaires, et même l’administration publique. Ces différentes branches ont soit réduit leurs activités, soit fermé momentanément pour certaines, soit mis en place un travail en shift qui ne peut que diminuer leurs capacités productives et leur production effective.

 

La consommation des ménages qui est généralement ignorée comme facteur contributif significatif à la croissance par la demande, sera aussi affectée à la baisse. D’ailleurs elle compte très peu dans les politiques économiques mises en place jusque-là. Le grand système de production pour l’exportation, n’est particulièrement intéressé à la demande intérieure. Le reste du grand et moyen système de production des biens et services pour le marché intérieur (y compris dans le commerce et les banques), est contrôlé quasi exclusivement par le capital étranger. Ses réinvestissements dans le pays sont relativement faibles. À part pour quelques branches d’activités, la consommation des ménages ou la demande intérieure ne pèse pas beaucoup comme dans leurs investissements comme facteur stimulant de la production, quand ils savent qu’ils peuvent répondre à cette demande par des importations de la pacotille dans différents domaines.

 

Pour le moment, il est difficile de donner une idée de l’impact quantitatif prévisible à court terme sur le système de production. Mais des projections solides fondées sur des hypothèses réalistes, peuvent aider à quantifier l’impact économique de la pandémie sur la production, et les perspectives qui s’annoncent de ce point de vue. Je ne suis pas en mesure de le faire pour cet article. On retient que la pandémie va affecter négativement la croissance, qui va accuser une récession de l’économie de la RDC cette année.

 

L’autre impact économique concerne la perturbation des chaînes d’approvisionnement, de circulation des biens et services, et donc les marchés de ces derniers. Bien que le secteur industriel soit sérieusement réduit à la petite industrie légère de consommation, son approvisionnement en biens de production et en biens intermédiaires importés va souffrir des perturbations qui affectent l’économie et le commerce mondial du fait de la pandémie. La situation est particulièrement vraie pour l’industrie manufacturière lourde liée à certaines exploitations minières. Elle aura quelques difficultés d’approvisionnement en inputs ou biens de consommation intermédiaire importés.

 

En conséquence, l’offre intérieure ne manquera pas de connaître une hausse des prix, qui affectera tous les biens et services, y compris les prix des produits agricoles locaux. Dans les conditions de la pandémie actuelle, le pays connaîtra une augmentation du niveau d’inflation. Et si elle perdure, ce niveau peut atteindre ou dépasser les 10% cette année.

 

La baisse des exportations des matières premières à cause de la crise économique mondiale, et de son accélération par l’éclosion de la pandémie du Covid-19 aura des effets sur le commerce extérieur de la RDC, en exportations comme en importations. Le commerce exportateur des produits primaires joue un rôle vital dans ce commerce, dans l’économie congolaise et, comme on le verra plus loin, dans les moyens du pays et les capacités d’actions de l’État congolais. C’est aussi un impact négatif qui mérite d’être quantifié.

 

La circulation intérieure des biens et services comme celle des personnes (force de travail), et en particulier l’approvisionnement des marchés et des centres urbains en produits manufacturés de première nécessité comme en produits agricoles vont ainsi être perturbés. Ils le seront principalement du fait non pas seulement du confinement et de la réduction des activités de soutien à la croissance (transport et communications, énergie, etc.), mais aussi d’autres perturbations connexes dans le contexte spécifique de la RDC. Ce sont notamment les tracasseries administratives et policières, une parafiscalité qui frappe la circulation des biens et services entre les provinces ou entre le milieu rural et le milieu urbain, etc. Même si certaines de ces distorsions commerciales préexistaient à la pandémie, elles vont se trouver renforcées du fait de cette dernière.

 

Sur le plan financier, la pandémie du Covid-19 aura un impact également important sur les entreprises et sur les moyens d’action financiers de l’État congolais. En effet, la financiarisation excessive de l’économie mondiale ne signifie pas que les entreprises sont en surliquidités. Comme dans toute crise économique, la chute de la croissance et la baisse des  activités des entreprises se traduisent par la chute de leurs moyens financiers. C’est pourquoi dans la quasi-totalité des pays dits développés, ce sont les États qui cherchent des moyens financiers pour sauver les entreprises en difficulté du fait de la pandémie. Les pays européens comme les USA discutent et annoncent régulièrement des montants adéquats de leur aide aux entreprises. Leurs États créent de la monnaie ou empruntent pour le bénéfice de la relance de leurs économies à travers la reprise des activités des entreprises.

 

L’économie de la RDC ne pouvait y échapper. Les entreprises congolaises qui produisent pour le marché extérieur et qui constituent le poumon de l’économie nationale ne peuvent que connaître une situation financière difficile du fait de la baisse de leurs ventes. Le marché mondial étant en crise, elles en pâtissent. Et, même celles qui produisent biens et services pour le marché intérieur, font face aux mêmes difficultés financières, parce qu’elles connaissent des contraintes aussi bien du côté de leur offre, que du côté de leur demande, contraintes qui conduisent au ralentissement de leurs activités.

 

Dans ce cadre, la situation financière des PME s’annonce aussi plus que difficile, car leurs approvisionnements et les moyens de les importer se réduisent, et leur clientèle voit ses moyens de paiement s’amenuiser, du fait de la baisse générale de la demande solvable. Dans une situation économique de l’économie du marché comme celle de la RDC, où le secteur informel est important pour l’offre des produits que le  grand et moyen système de production ne peut offrir, ce secteur va sérieusement souffrir de la crise de l’économie du pays, et encore plus de son aggravation par l’éclosion de la pandémie. Les activités de ce secteur qui font vivre plus de la moitié de la population urbaine, ainsi que des centres et cités semi-urbaines, ne dispose pas de ressorts économiques et financiers de résilience solides. C’est tout un pan de l’économie congolaise qui sera ainsi dangereusement affecté, avec les conséquences sociales que l’on imagine.

 

Il est de notoriété publique que le secteur d’exportation des matières premières minières est le pilier le plus important de l’économie congolaise, de son commerce extérieur et des ressources de l’État (bon an mal an). Il alimente le pays en moyens de paiements extérieurs. Comme déjà souligné, ce secteur souffre de la crise de l’économie mondiale dont il dépend, ou dont il est le prolongement, et cela se répercute sur ses capacités de contribution aux moyens de paiements extérieurs du pays. Les revenus d’exportations vont chuter, reste à savoir dans quelle mesure, réduisant ainsi les capacités d’importations du pays. Le taux de change du dollar américain va en souffrir, s’il ne l’est pas déjà, et avec d’autres répercussions sur le marché des biens et des services. Les recettes publiques vont également chuter, réduisant les capacités financières de l’État  pour couvrir ses dépenses, en particulier ses dépenses de développement et/ou de soutien à la croissance.

 

La crise structurelle de l’économie congolaise, aggravée ou exacerbée par le détonateur conjoncturel qu’est la pandémie du Covid-19, qui se traduit par la baisse ou décroissance de l’économie nationale, va contribuer à la chute des recettes de l’État et donc de ses moyens budgétaires. Ce qui va affecter le niveau d’exécution des piliers de son programme de développement, commander la réduction des ambitions, et la re-priorisation des engagements du Président de la République inscrits dans le programme commun de gouvernement. Il est vrai que  la dimension humanitaire de toute situation d’urgence tend à devenir primordiale. Mais la primauté donnée au conjoncturel ne peut ignorer le structurel dans lequel ce dernier s’inscrit, car c’est important pour l’efficacité de la stratégie de réponse elle-même.

 

Tout cela va affecter le niveau d’endettement du pays. D’une part les capacités de paiement de la dette publique vont baisser, tandis que de l’autre, les besoins d’endettement vont augmenter, malheureusement dans un contexte de crise économique mondiale. Les interventions financières de l’État dans l’économie, directement ou indirectement, pour sauver les entreprises choisies et relancer l’économie se feront par un jeu d’endettement qui impliquera la Banque Centrale d’une manière ou une autre.

 

L’analyse des impacts de la pandémie du Covid-19 sur l’économie du pays n’est pas une vue d’esprit. Ce ne sont pas des impacts mécaniques ou théoriques. Nombre d’impacts soulignés ici se sont déjà annoncés au cours des trois derniers mois de l’éclosion de la pandémie dans notre pays. D’ailleurs pour envisager correctement la stratégie de réponse avec chances d’efficacités dans les interventions, une analyse des faits, et un examen anticipatif de la dynamique qui s’annonce sont nécessaires, et ils se nourrissent à la théorie. En les évoquant sur base des analyses théoriques, cela permet d’envisager des stratégies de réponse qui intègrent le structurel et le conjoncturel, et tiennent compte de l’essentiel et non du superficiel.

 

  • Les impacts sur le terrain du développement social

 

Comme déjà indiqué, la  pandémie est tombée dans un contexte social de fragilité, sinon de dislocation, caractérisé par les traits évoqués à la section précédente : le niveau élevé de pauvreté, celui d’inégalités socioéconomiques croissantes, celui du chômage et du sous-emploi, la grave insécurité alimentaire et nutritionnelle, et le faible niveau de développement humain.

 

Du fait des déficits structurels de l’économie du pays, et de l’impact de la pandémie sur la situation économique et financière tel qu’analysé ci-dessus, on doit s’attendre à ce que la situation sociale se détériore. D’abord en termes de l’incidence de la pauvreté qui ne peut que s’empirer notamment du fait de la régression de l’économie, de la perte d’emplois formels et informels, et de la baisse du pouvoir d’achat des populations face à l’inévitable inflation, ce qui va se répercuter négativement sur l’accès de masse aux services sociaux de base.

 

Dépendant de la durée de la pandémie et de celle de ses impacts sociaux, les inégalités socioéconomiques qui sont d’ailleurs cumulatives, vont avoir tendance à se renforcer, marquant encore plus la fracture sociale, accusant une fissuration du tissu social et de la cohésion nationale, avec risque de déboucher sur des méfaits sociaux auxquels se nourrissent certains acteurs politiques. La pauvreté de rue sera encore plus apparente sous diverses formes de manifestations.

 

Il est évident que la pandémie va jouer un rôle d’accélérateur pour approfondir les déficits sociaux. Le chômage et en particulier celui des jeunes va s’aggraver, car la fermeture totale ou partielle des micros et petites entreprises informelles, le ralentissement des activités des PME et des entreprises du grand système de production des biens et services comme du moyen système, sont au rendez-vous. Tout cela va jouer un double rôle : éjecter une partie des travailleurs actuels et en faire des chômeurs involontaires, et fermer ou au moins rétrécir les opportunités d’ouverture du marché d’emploi, et de prise de risque entrepreneurial pour lancer de nouvelles affaires.

 

L’insécurité alimentaire et nutritionnelle va à son tour peser lourdement sur les ménages congolais, que ce soit en milieu urbain ou rural. La baisse des activités agricoles de production vivrière, les difficultés financières d’importations alimentaires, les perturbations et distorsions des chaines d’approvisionnement et de fonctionnement des marchés vivriers, la cherté de la vie, tous ces éléments se conjuguent. Et on doit valablement prévoir que la proportion des ménages congolais qui vivent dans l’insécurité alimentaire et nutritionnelle va augment, au-delà de son niveau actuel qui est de 49,5%. Ce sera une épidémie silencieuse, mais plus dangereuse et plus mortelle que celle du Covid-19.

 

Ainsi les impacts économiques et sociaux de la pandémie se renforçant  mutuellement dans leurs effets directs et indirects, vont sans aucun doute faire baisser les performances du pays en matière d’indice du développement humain (IDH), et de l’indice de développement humain mesuré par les inégalités dans le pays (IDHI).

 

  • Les impacts sur la gouvernance elle-même

 

On le perd souvent de vue ou on ignore cette dimension non négligeable des impacts de la pandémie. Du fait de la pandémie ou mieux en vue de l’efficacité de sa gestion il a été mis en place une architecture nouvelle d’organes de sa prise en charge. Une nouvelle distribution des tâches et des responsabilités en découle. Les institutions en charge de la gouvernance du pays sur les plans politique, économique et social, et de ce fait appelées à résoudre les problèmes structurels du développement, sont ainsi mises à contribution pour aussi gérer la crise conjoncturelle de la pandémie et ses impacts variés sur le pays.

 

Se posent alors une série de problèmes de ressources – humaines, techniques, matérielles, financières, organisationnelles, etc. – qu’il faut mobiliser et gérer en harmonie et synergie pour sortir le pays de la crise sanitaire du Covid-19, mais avec la perspective de la solution aux problèmes de développement. Outre la synergie des actions entre le conjoncturel et le structurel, il y a aussi la synergie et la cohérence institutionnelles pour cheminer ensemble vers la victoire sur le Covid-19, en faisant en même temps des progrès sur le processus de développement. Car quelle que réelle et urgente qu’elle soit, et c’est le cas du Covid-19, la pandémie actuelle ne peut arrêter le processus du développement. Elle en est une exigence au contraire. En mettant le doigt sur les failles et pannes du développement en RDC, le Covid-19 est en effet, un appel pressant pour le développement, et il doit être appréhendé comme tel, y compris dans la conception et la mise en œuvre de la réponse/riposte à y apporter. Il lui est indissociable.

 

Les principales causes de mortalité en RDC sont les liées d’abord à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, ensuite aux maladies infectieuses et respiratoires, et au paludisme. Les épidémies sont des maladies « transitoires » ou épisodiques, et leurs effets sur la mortalité est faible en comparaisons à ces causes immanentes et endémiques qui sont aussi structurelles. Ces causes affectent tout le pays, et sont des causes à effet de masse. Ce qui est relatif pour le cas du Covid-19, en dépit de sa médiatisation et de la panique sociale ou existentielle qu’il a créée. La gouvernance publique se sent mise à l’épreuve de manière plus pressante et plus urgente à son égard, négligeant ou mettant un bémol à l’allocation des moyens et la mobilisation des énergies pour les causes structurelles. En outre, ces causes endémiques de grande mortalité durent depuis des décennies, et font partie du tableau. Elles sont banalisées presque dans la gouvernance du pays. Les populations les considèrent comme faisant partie de leur cadre de vie.

 

La crise du Covid-19 demande ainsi des arbitrages de gouvernance politique notamment dans l’allocation des ressources, la mise en place des instruments institutionnels et techniques appropriés, la formulation des stratégies intégrées d’action de réponse, mais aussi de leur mise en œuvre et de leur suivi-évaluation. La pandémie a donc un impact non négligeable sur la gouvernance, et notamment sur la gouvernance du développement. Et c’est de l’efficacité de cette dernière que dépend l’efficacité de sa réponse au Covid-19 dans la solution des problèmes conjoncturels et structurels du développement.

 

  1. Quelle gouvernance du développement pour gérer le Covid-19 en RDC ?

 

3.1. Manque de vision de développement et atermoiements dans sa formulation

La première section de cet article a souligné les caractéristiques de l’état des lieux comme situation de départ dans laquelle la pandémie du Covid-19 a fait son éclosion en RDC. C’est un contexte de défis structurels sérieux qu’il faut relever moyennant une vision et une stratégie de cheminement vers un objectif, en mobilisant les instruments et moyens appropriés, et surtout en construisant une cohésion autour de la stratégie de mise en œuvre de ladite vision.

La pandémie et les efforts d’y faire face ont mis au grand jour des déficits et faiblesses structurels qui ne relèvent pas que du secteur de la santé. C’est pourquoi la réponse efficace à cette catastrophe ne peut être envisagée en dehors de ce contexte, ni des réponses en cours aux défis que ce contexte affiche, en vue de cheminer de manière efficace vers les résultats escomptés. Car le conjoncturel est dans le structurel quelque part. C’est souvent un moment de manifestation rebelle aux déficits structurels, et notamment aux déficits de gouvernance. Il faut souligner à cet effet que, pour des institutions averties de gouvernance, la pandémie  a donné l’opportunité non pas seulement de réveiller la conscience sur les insuffisances des modes de gouvernance en cours ou de leurs héritages, mais aussi l’opportunité d’en tirer des leçons pour rectifier le tir.

Le changement de leadership l’années dernière évoqué ci-dessus, signifiait pour les populations congolaises, le changement de vision du devenir, et du Congo de demain à construire. Un exercice d’autoprojection dans le futur auquel le pays n’était pas habitué. Ce qui impliquait en plus, le changement de la nature et de modes de gouvernance, aussi bien de gouvernance politique que de gouvernance du développement économique et social. Car ce sont à la fois l’espoir et le rêve fondamentaux et légitimes des populations congolaises, attendant en cela le couronnement de leurs luttes sociopolitiques, et surtout attendant avec empressement, de bénéficier des dividendes de la démocratie et de la paix.

En vue de rassembler les énergies et les engager dans le relèvement des défis de cette situation pour répondre à ces attentes, le Président de la République (PR) avait défini la vision du Congo de demain qu’il entend construire : « Fonder un État moderne et normal, dans lequel il entend vaincre la pauvreté, décrété Grande cause nationale », en vue de « construire un Congo fort tourné vers son développement dans la paix et la sécurité, un Congo réconcilié avec lui-même, un Congo pour tous dans lequel chacun mérite sa place ». Slogan de campagne ou réalité à laquelle il croît fermement, et se sent porteur politique et redevable de cette vision dans sa gouvernance du pays ? Les réponses sont sans doute partagées, notamment selon qu’il s’agit des forces à idéologie de changement ou de celles à idéologie de statu quo.

 

Et c’est en fonction de cette vision du Congo de demain que le PR a fait des engagements politiques – il y en avait vingt  au départ -, comme composantes de sa stratégie de gouvernance du pays sous son mandat. Les vingt engagements de départ étaient groupés autour de quatre axes stratégiques : (i) Bonne gouvernance, (ii) l’Homme congolais ; (iii) Croissance économique durable ; (iv) Société solidaire.

 

Le contexte politique ayant conduit à une coalition hybride de gouvernance entre deux lignes différentes de forces politiques, des négociations ont conduit à un accord sur un Programme commun de gouvernement qui fut approuvé par l’Assemblée Nationale. Sur les vingt engagements politiques de départ, quinze engagements du PR ont pu être inclus dans le Programme commun de gouvernement. Ces quinze engagements, qui de ce fait font l’ossature de ce programme, sont présentés comme des piliers sectoriels, groupés inégalement autour de quatre secteurs d’action qui sont : (i) le secteur Politique, Défense et Sécurité ; (ii) le secteur Économie et Finances ; (iii) le secteur Reconstruction ; (iv) le secteur Social et Culturel.

 

L’analyse montre que le premier secteur couvre les engagements du PR en matière de l’axe stratégique « Bonne gouvernance » ; le deuxième et le troisième secteur couvrent les préoccupations du programme présentiel en ce qui concerne l’axe stratégique « croissance économique durable » ; tandis que le quatrième secteur est une synthèse des piliers des axes stratégiques 2 et 4 du Programme présidentiel. Les engagements politiques présidentiels majeurs constituent ainsi le cœur du programme de gouvernement, bien qu’ils couvrent quinze piliers sur les vingt initiaux.  C’est un produit de négociations.

 

Une faiblesse importante apparaît dans la traduction de ces engagements en Programme commun de gouvernement, du moins tel qu’il a été présenté au Parlement, et adopté par celui-ci. En effet, le Programme du Gouvernement est essentiellement une liste des actions ou des idées à réaliser, comme mode de présentation ou d’énumération des piliers et des lignes d’actions au sein de ces piliers. Il ne présente ni l’état des lieux de départ, ni les objectifs et résultats à atteindre quantitativement ou qualitativement. Le programme est présenté avec des verbes actions génériques à l’infinitif, sans liaisons substantives entre les piliers dans leur synergie éventuelle.

 

Tel que diffusé, le programme du gouvernement ne présente pas les atouts, contraintes, faiblesses et défis pour sa mise en œuvre. Les instruments à mobiliser et mettre en œuvre comme les besoins en ressources (humaines, techniques et financières), ni ce que la mise en œuvre du Programme va coûter à la nation sur la période (quatre ou est-ce cinq ans) n’ont pas été annoncés me semble-t-il. Il manque en plus la définition des critères de succès, et des indicateurs de suivi de la mise en œuvre, en vue de prendre régulièrement la mesure des progrès réalisés dans l’atteinte des résultats politiques, économiques et sociaux escomptés.

 

En outre ni le découpage sectoriel, ni le découpage géographique du programme ne sont connus. Il est donc possible que des responsables sectoriels et provinciaux ne sachent pas correctement quelles sont leurs responsabilités dans la mise en œuvre des engagements présidentiels, et des pans importants du programme du gouvernement. Le risque à ce niveau est de se trouver devant une situation où il peut être difficile de leur demander des comptes.

 

Et pourtant, la mise en œuvre de ce programme est la tâche numéro 1 à l’ordre du jour des institutions de gouvernance, et en particulier du gouvernement. Encore faut-il parler à l’unisson et poursuivre les mêmes objectifs. Encore faut-il disposer de l’adhésion et de la cohésion d’action nécessaires à la synergie pour les résultats, dont tous les acteurs de la gouvernance dans la coalition se sentent porteurs et redevables devant la nation, pour le succès des engagements présidentiels à travers la mise en œuvre du programme du gouvernement. Car en leur absence, l’efficacité d’action dans la gouvernance devient douteuse, en dépit des apparences et déclarations politiques de convergence.

 

Qu’on ne m’accuse pas d’exagération. Car je sais qu’on se voilerait la face en cherchant à exclure des incohérences et divergences dans la mise en œuvre des piliers porteurs des engagements politiques présidentiels inclus dans la mise en œuvre du programme commun de gouvernement. Ce serait une marche facile et ouverte vers l’échec. La faible communion des idéologies politiques des parties coalisées est une pesanteur cruciale sur le cheminement vers le succès.

Historiquement en effet, et malgré l’existence des DSCRP de différentes générations et des PAP du gouvernement, ce dernier n’avait jamais défini une vision du devenir du pays et tracé le chemin pour y parvenir. C’est vers la fin de son mandat que le Premier Ministre (PM) Matata Ponyo, a lancé avec une certaine précipitation, le processus d’élaboration du PNSD, avec ses trois livres : Vision, Stratégies, et Premier Plan pour 2017-2021. C’était un processus cuisiné d’en haut avec un groupe technique. Les préoccupations du PM qui justifiaient son initiative étaient ailleurs. Il quitta les fonctions sans que le document soit discuté et approuvé au niveau du Gouvernement, ni encore moins à celui du Parlement.

Sous la primature de Tshibala Nzenghe, le processus fut relancé. Certains Ministères sectoriels déclaraient n’avoir pas correctement pris part à l’élaboration du document en leur présence. Le Ministère du Plan mena un second processus plus élargi, en vue de la reformulation du PNSD. Le document du PNSD ne fut ni discuté et approuvé par le Gouvernement ni par le Parlement. De toute manière, personne n’avait réellement le cœur à un tel travail, et n’y croyait même pas, dans le climat politique de transition.

Le Ministère du Plan actuel sous la primature de S. Ilunga Ilunkamba a  mis l’actualisation du document du PNSD dans son agenda. C’est encore une actualisation d’en haut. Le gouvernement a évité d’avoir à piloter deux documents de base comme cadre stratégique de développement, et de réponse aux défis politiques, économiques et sociaux, dans lesquels la gestion de la pandémie va se mettre en œuvre : le PNSD, toujours en formulation, mais antérieur  au changement et à la prise de fonction du nouveau leadership politique ; et le corps des engagements politiques du PR inclus dans le Programme commun de gouvernement.

Un travail technique de replâtrage du PNSD pour l’actualiser à la lumière du contenu du Programme de gouvernement a été entrepris et le document final a été récemment adopté par le Gouvernement. Bien qu’adopté en 2020, il porte sur la période 2019-2023, qui est celle du mandat du Chef de l’État. Je parle de replâtrage parce que la version actuelle (mai 2020) ne diffère pas vraiment de celle à laquelle il m’est arrivé d’être associé il y a cinq ans. Le PNSD est présenté comme seul cadre stratégique et programmatique fédérateur de toutes les actions du gouvernement.

Il est formulé non pas autour des quatre axes stratégiques des engagements présidentiels et du Programme commun de gouvernement, mais plutôt autour de cinq orientations stratégiques cette fois, bien qu’il y ait toujours des recoupements. Ces grandes orientations stratégiques sont : « (i) la valorisation du capital humain, le développement social et culturel ; (ii) le renforcement de la bonne gouvernance, la restauration de l’autorité de l’Etat et la consolidation de la paix ; (iii) la consolidation de la croissance économique, la diversification et la transformation de l’économie ; (iv) l’aménagement du territoire, la reconstruction et la modernisation des infrastructures ; et (v) la protection de l’environnement, la lutte contre le changement climatique, le développement durable et équilibré ».  Il est entendu que ce plan est une séquence dans la marche vers « l’émergence » de la RDC à l’horizon temporel de 25 ans. C’est dire qu’à la fin de son mandat, le gouvernement sera redevable non pas du programme présenté au Parlement en septembre 2019, mais plutôt du PNSD 2019-2023.

3.2. La crise du Covid-19 et les stratégies de sa gestion

C’est dans ce contexte institutionnel et programmatique qu’il faut assurer la gestion de la pandémie du Covid-19. Il faut le rappeler avec force : la stratégie nationale de réponse à la pandémie ne peut être mise en œuvre comme un animal à part, séparé des défis de son contexte, ni des stratégies de base en cours. Il faut donc interroger les chances de succès et de gestion efficace de la pandémie dans un tel contexte.

Il est vrai que toute crise, qu’elle soit sanitaire ou surtout économique, sociale ou politique suscite des réflexions et engage rapidement les plus éveillés et les plus responsables, à penser des solutions, et formuler des stratégies de réponses. Je dois souligner à ce sujet que, pour la crise de la pandémie actuelle, ce n’est pas la santé des congolais qui est en crise, c’est plutôt notre système de santé qui est en crise, accusant des déficits de la gouvernance pour faire face efficacement à l’irruption d’une catastrophe sanitaire. Dans le cadre de la pandémie du nouveau coronavirus, on a vu ou entendu ici et là des propositions éparses des analystes et penseurs individuels pour différentes raisons, cherchant à contenir la pandémie et donner un souffle économique au pays, notamment pour que le pays mérite encore plus l’attention bienveillante des institutions financières internationales.

Au niveau institutionnel, il y en a comme le CPCM, la Banque Centrale et d’autres qui ont eu à annoncer des mesures de réponse dans le cadre de leur secteur d’activités. De ce fait elles restent des solutions ou mesures partielles, orientées et très conjoncturelles. En ce qui concerne le gouvernement, et outre les efforts d’urgence déployés et la structure de réponse mise en place, ainsi que la collaboration avec des pays amis, il a surtout préparé une stratégie d’intervention et de relance appelée « Programme multisectoriel d’urgence d’atténuation des impacts du Covid-19 ou PMUAIC-19 », sous la direction du Ministère du Plan.

Il y a lieu de saluer l’initiative du Gouvernement pour se doter d’un instrument de gestion de la crise du Covid-19, avec des réponses à ses impacts sanitaires et socioéconomiques sur la société congolaise. Il est conçu pour une période de neuf (9) mois. À travers la mise en œuvre de ce programme, le gouvernement vise trois objectifs qui sont autant d’axes prioritaires de son action à cet effet : (i) la riposte, la surveillance au Covid-19 et le renforcement du système de santé ; (ii) le soutien à la stabilité macroéconomique ; (iii) l’atténuation de risques et le soutien aux populations. C’est là une des raisons de sa multisectorialité.

L’architecture de riposte mise en place avec ses trois échelons de responsabilité devra donc rentrer dans ce cadre tel que défini par le PMUAIC-19. Le coût estimatif du PMUAIC est de USD 2,3 milliards répartis à raison de 16%, 31% et 53 % respectivement sur les trois objectifs et axes d’action. Il se veut être un « instrument de plaidoyer envers les partenaires au développement ». C’est pourquoi sa mise en œuvre est liée à l’obtention d’un financement extérieur important, notamment à travers la mobilisation de l’aide au développement, l’allégement de la dette, et les revenus éventuels à recevoir de certains mécanismes internationaux comme le Paiement pour le Service des Écosystèmes (PSE). Il est affirmé que le Gouvernement pourra compléter ce financement extérieur en renforçant ses efforts de mobilisation et de diversification de ses ressources internes.

L’analyse du document du PMUAIC-19 permet de relever ne fut-ce que sommairement, quelques faiblesses qui réduisent les chances et le niveau des espoirs de succès que l’on peut attendre de sa mise en œuvre, par rapport à ses trois objectifs.

D’abord et comme son nom l’indique avec raison, il s’agit d’un programme d’urgence pour les neuf mois prochains. Il n’entend pas s’attaquer aux problèmes structurels, même pas ceux des trois axes de son action (sanitaire, économique et social). La solution des problèmes structurels de développement est censée relever des responsabilités du PNSD. Le PMUAIC-19 fait référence au PNSD en termes d’affirmations vagues et générales : « il s’inscrit dans le cadre de la vision et de la politique du gouvernement… », il va « permettre une meilleure mise en œuvre du PNSD…), etc. Mais il n’indique nullement des passerelles évidentes ou des lieux d’emboitement substantif dans le PNSD. En fait c’est un animal à part.

Pour son exécution, en espérant qu’il arrivera à mobiliser le niveau adéquat des ressources estimées pour sa mise en œuvre (2,3 milliards USD) au cours des neuf prochains mois, les responsables sectoriels et provinciaux du PMUAIC-19 sont ainsi amenés à piloter deux outils programmatiques quasiment parallèles : le PNSD 2019-2023 et le PMUAIC-19, l’un pour les problèmes de développement, et l’autre pour les problèmes conjoncturels de pannes du développement. Ce qui peut difficilement être efficace. Il est vrai que le PMUAIC-19 appelle à réduire les ambitions du PNSD compte tenu de la situation de la pandémie et de ses impacts. Il n’a pas si tort. Cela fait partie des impacts économiques de la pandémie de toutes façons.

Mais la gestion efficace des pannes de développement, catastrophes naturelles et humaines ou sociales, a des chances de succès quand elle est ancrée dans une perspective structurelle. Le risque de détourner les énergies sur le conjoncturel parce qu’humanitairement urgent au détriment des problèmes structurels du développement, n’est pas porteur d’avenir, car il éloigne les échéances de construction de la vision du devenir annoncé de la RDC de demain. La question fondamentale à cet égard est de savoir comment gouverner le processus de développement en maintenant le cap, tout en gérant les pannes conjoncturelles de ce processus, dont la pandémie du Covid-19. Il semble évident que la question n’a pas été posée ou perçue en ces termes, surtout que le PMUAIC-19 est conçue comme un instrument de plaidoyer envers les partenaires au développement.

En deuxième lieu et du point de vue de son contenu ou réponse programmatique au Covid-19, il y a beaucoup du déjà-vu et du déjà-entendu, des actions sans responsabilisation claire d’acteurs, en particulier quand il s’agit des actions d’ordre général préconisées sous les objectifs et axes d’action 2 (stabilité macroéconomique et relance de l’économie) et 3 ( atténuation de risques et soutien aux populations).

Par ailleurs, le déséquilibre est évident dans l’attention, les efforts et l’allocation des ressources entre les trois objectifs. Sans chercher à réclamer l’égalité d’affectation des ressources programmées, il est évident que « contenir la dégradation du cadre macroéconomique » (objectif 2) pèse financièrement (31%) deux fois plus que la « limitation de la propagation du Covid-19 » (16%), qui est réellement l’objet et la raison d’être de l’urgence humanitaire censée être au centre du PMUAIC-19. C’est dire que quelque part, les préoccupations et exigences du FMI dominent ou planent sur la conception de ce programme.

Dans le même ordre d’idées, les actions envisagées au titre de la composante sociale du programme (objectif 3) « la mitigation des risques et le soutien aux populations », va peser financièrement 53% des ressources du programme, soit plus que les ressources allouées aux deux autres objectifs. Outre cette distorsion, il y a surtout celle des actions envisagées sous cet objectif : « assurer la sécurité des populations, l’accès à la justice, limiter et contrôler les mouvements de populations » d’une part, et « améliorer l’accès de la population aux services sociaux essentiels et l’approvisionnement en porduits de base »  d’autre part ! On peut très valablement se demander ce qu’il y a d’urgent dans le social à travers ces actions et objectifs partiels poursuivis, face à l’analyse des impacts sociaux faite à la section précédente.

De manière générale, les « actions phares » à déployer pour réaliser chaque objectif et axe stratégique du PMUAIC-19, et atteindre les résultats escomptés, non seulement ne présentent pas grand-chose de nouveau, mais reprennent pour l’essentiel, des idées connues et en discussion depuis longtemps. Et la majorité d’entre elles ne peuvent pas être réalisées dans les neuf mois à venir, même si le gouvernement arrivait à boucler le financement du programme. Et dans tous les cas, il est difficile d’en attendre les résultats en termes d’impacts réels d’amélioration de la situation, en particulier quand il s’agit de la relance de l’économie ou du bien-être des populations. Ce qui fait que l’idée heureuse de construire une matrice de cadre de résultats du PMUAIC-19 se justifie et est pertinente. Mais les chances de son effectivité sont faibles.

En troisième lieu, il y a le problème de la démarche prise par le Ministère du Plan pour l’élaboration du PMUAIC-19.

  1. Premièrement, l’analyse du contexte national d’éclosion de la pandémie n’est pas faite dans la perspective de son appréhension comme manifestation rebelle ou panne du processus de développement, et de sa gouvernance, qui sont d’ordre structurel. De ce fait, elle n’a pas intégré le conjoncturel dans le structurel, contraignant ainsi le programme à planer dans la gestion du conjoncturel, à côté du PNSD, qui lui est dans la gouvernance du structurel (développement).

 

  1. Deuxièmement, Troisièmement, une autre faiblesse méthodologique est peut-être due à l’urgence pour doter le gouvernement de cet outil de plaidoyer. La Ministère du Plan n’a pas pu faire des projections de la situation de la pandémie et de ses impacts, ni sur la période de neuf mois du PMUAIC-19, ni sur un an ou deux. Cela pouvait lui permettre de formuler un programme de réponse ou de riposte plus conséquent, et mieux répondant aux impacts constatés et prévisibles, et mieux ancré dans la perspective structurelle du PNSD.

 

  • Troisièmement, l’analyse des impacts n’est pas faite au quadruple niveau comme crise du sanitaire, de l’économique, du social et de la gouvernance. Les impacts de la pandémie portent aussi sur la gouvernance elle-même, et notamment sur celle du développement. Car si le développement est en panne, et cela se manifeste en particulier à travers des crises comme celle de la pandémie du Cpvid-19, c’est que la gouvernance elle-même est en panne. Il aurait été utile d’analyser aussi les impacts de la pandémie sur la gouvernance du pays, et les institutions qui en ont la charge. Les chances de succès du programme dépendent en grande partie de la « bonne santé » de la gouvernance.

 

Une des grandes faiblesses du PMUAIC-19 réside dans le financement de sa mise en œuvre. La structure de financement indique que le gouvernement pourra y contribuer à hauteur de 20%, tandis que les partenaires extérieurs identifiés pourraient contribuer pour 23%. Il reste à trouver le solde de financement qui est de 57%.

La pandémie frappe tous les pays du monde, et les principaux partenaires de la RDC sont parmi les pays durement frappés par la pandémie, avec des conséquences négatives importantes sur leur situation économique et financière. La pandémie est un détonateur de la crise économique mondiale larvée jusque-là. On annonce la récession partout. Beaucoup d’entre eux s’endettent pour pouvoir financer la relance de leurs secteurs privés. Sauf détournement ou réorientation des fonds d’aide déjà alloués, et donc perturbation de l’affectation des ressources de financement du développement, l’espoir de trouver de nouvelles ressources extérieures pour financer le PMUAIC-19 est maigre.

Même la mobilisation interne des 20% que le gouvernement entend contribuer avec n’est pas évidente. La RDC est aussi dans la récession économique, et il lui sera difficile de mobiliser 460 millions de dollars américains rien que pour la mise en œuvre du PMUAIC-19, alors que d’autres besoins importants, aussi bien d’urgence humanitaires que de développement, font leur pression sur le leadership, et sur la gouvernance en général. Ce sera considérer comme très peu de choses de montrer comme bilan à la fin du quinquennat, que le gouvernement a riposté efficacement à la pandémie à virus Ebola ou du Covid-19 principalement.

Ce que les populations congolaises attendent de leur nouveau leadership, c’est le véritable changement du paradigme de développement, et de sa gouvernance, afin de les amener à bénéficier et jouir des dividendes de leurs luttes pour la démocratie et pour la paix, et pas  seulement de la réparation des pannes socioéconomiques de parcours.

Conclusion

 

Le nouveau coronavirus appelée covid-19 s’est répandu à une vitesse surprenante dans le monde entier depuis ses origines « wuhanniennes » en Chine. Ce qui était une épidémie en Chine est très vite devenue une pandémie mondiale. Tous les pays du monde en souffrent avec près de 7 millions de personnes affectées et près d’un demi-million de morts, sans compter des centaines de milliers d’hospitalisés en moins de six mois. Et on n’est pas encore au bout du tunnel, même s’il est affirmé que le pire est derrière. Les systèmes sanitaires des pays, leurs tissus sociaux, leurs économies et leurs systèmes de gouvernance sont affectés et mis à l’épreuve. Tout le monde veut s’en sortir, et pas seulement sur le plan sanitaire avec la victoire sur le covid-19. Partout els faiblesses structurelles ont été mises au grand jour, la pandémie ayant joué le rôle de détonateur.

La RDC est dans cette situation et placée devant ce défi. Les conséquences de la pandémie sur la santé des populations, sur l’économie du pays, sur la situation sociale de ces populations et sur la gouvernance sont renforcées par la fragilité du contexte d’éclosion de la pandémie dans ce pays. Le problème pour le leadership national et provincial n’est pas de « contenir » la pandémie, ni de se fourvoyer dans la gestion des conséquences conjoncturelles du Convid-19. Car l’objectif ultime à poursuivre est de gagner la bataille conjoncturelle de la pandémie comme moment de panne du développement, comme manifestation rebelle épisodique du processus de développement, tout en maintenant la boussole du même processus de développement.

On n’y est pas encore avec le PMUAIC. Ses chances de réalisation sont visiblement hypothétiques, malgré le soutien annoncé déjà à 23 % des ressources de la part des partenaires. Avec ce programme, le pays risque d’être en train de mobiliser les énergies nationales et de ses partenaires malgré leur sensibilité à l’urgence humanitaire, non pas pour gérer le conjoncturel avec maîtrise du processus, mais plutôt pour gérer une partie des conséquences de ce conjoncturel, renvoyant la gouvernance du processus de développement au lendemain.

Par ailleurs, lorsqu’on affronte une crise dans la perspective conjoncturelle seulement, c’est qu’on veut reconstruire le monde d’hier, celui d’avant la crise, en le remettant sur les mêmes rails pour continuer la même marche. Les aspirations des populations congolaises,  c’est de voir inventer une autre économie et une autre société, avec une autre gouvernance qui soit capable d’anticiper et de faire efficacement à ce genre de fléaux.

À ce niveau on peut se poser la question : quel est le sort des engagements politiques du PR entretemps, près de dix-huit mois après sa prise de fonction ? Et qui y veille, quel que soit le niveau de leur prise en compte dans le PNSD ? S’il est mis en œuvre, lorsque le PNSD termine l’année prochaine, ce sera déjà la troisième année du mandat gouvernemental, et le pays sera à un an de la fièvre électorale de la cinquième année du quinquennat. C’est pourquoi il faut sérieusement poser la question : comment gérer le conjoncturel du Covid-19 et ses impacts négatifs, tout en gouvernant le processus de développement du Congo ?

Le quotidien des populations congolaises est fait de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle devenue endémique, de chômage croissant ou manque d’emplois, de manque d’eau potable et d’électricité, de manque de soins de santé accessibles pour la majorité, et de soif de justice sociale. Si le gouvernement dépense une partie non négligeable de son énergie ou des énergies nationales à résoudre les conséquences des troubles conjoncturels de la marche, la mise en œuvre des engagement présidentiels au  bout du mandat n’est pas aussi assurée. Le bilan risque d’être peu louable en fin de compte.

C’est le moment de prouver ses propres capacités de pensée, d’imagination et de conception ou d’innovation dans les stratégies, les instruments, la  mobilisation des ressources humaines (scientifiques et techniques), matérielles et financières pour faire face aux problèmes de développement et des pannes de parcours, tout comme des problèmes d’urgence découlant de ces pannes.

Il ne s’agit certes pas d’un appel à faire le choix entre les deux sollicitations : l’urgence de la pandémie à vaincre, et la mise en œuvre du PNSD. Il s’agit plutôt de savoir répondre à l’urgence humanitaire sans perdre de vue la nécessité et l’urgence de transformations structurelles nécessaires. C’est ce dernier cela qui va renforcer les capacités du pays, et le préparer encore mieux à répondre aux urgences humanitaires, et  à construire une société aux conditions améliorées pour les populations congolaises.

Car il faut souligner et rappeler encore que la réponse efficace au conjoncturel et à l’urgence fusse-t-elle humanitaire, doit se situer dans la perspective de réponse au structurel et le pilotage de ce dernier à moyen et long terme.

 

S-T, le 3 juin 2020.

 

 

 

 

 

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