Justin KANKWENDA MBAYA: DE LEOPOLDVILLE A KINSHASA : PLAIDOYER POUR DECOLONISER LA VILLE-PROVINCE.

Ville province de Kinshasa 2020

Un des problèmes qui agitent actuellement les conversations et débats politiques, y compris sur les réseaux sociaux, concerne la construction des ponts aérien dits « sauts-de-mouton » ou « saute-mouton » au croisement de certaines grandes artères de la ville de Kinshasa. Ces discussions témoignent certes d’une dimension de la vivacité de la jeune démocratie. En tant que souverain primaire, le peuple se fait contrôleur de l’utilisation de sa richesse par les dirigeants, pour en voir les résultats et bénéficier des bienfaits ou dividendes de sa lutte pour la paix et la démocratie. Et depuis peu de temps, la Justice se veut active, pour éclairer et fixer le peuple dans sa lutte pour la transparence de la gouvernance, et la redevabilité des dirigeants. C’est du jamais vu de mémoire de congolais. C’est à saluer et encourager de toutes les forces, si la gangrène de la corruption ne passe pas par là.

Mais quel est la nature du problème fondamental que la construction des sauts-de-mouton cherche à résoudre pour les populations de Kinshasa ? Autrement dit, la question est de savoir en quels termes se pose le problème fondamental de la ville-province de Kinshasa de ce point de vue, en dehors de ceux primordiaux de jouissance des dividendes économiques et sociaux de la démocratie. Faudrait-il « désengorger » la ville en général et Gombe en particulier ou plutôt transformer la ville de sa logique et configuration coloniale en une ville de gouvernance de proximité et de convivialité avec les citoyens.

Ressemblances et différences

Il y a soixante (60) ans, elle s’appelait Léopoldville, et comptait une population d’environ 360.000 habitants qui vivaient dans quatorze Communes : Kallina, Ngaliema, Kintambo, Kinshasa, Saint Jean, Barumbu, Bandalungwa, Ngiringiri, Dendale, Kalamu, Limete, Matete, Lemba, et Nd’jili. Aujourd’hui elle s’appelle Kinshasa, compte environ 12 millions d’habitants, répartis sur 24 Communes. C’est la même ville. Elle s’est étendue géographiquement, est devenue plus peuplée, et compte plus de structures administratives qu’en 1960 pour la gérer.

Elle était la capitale du Congo-Belge et du Ruanda-Urundi, mais aussi de la province de Léopoldville. Elle est aujourd’hui la capitale nationale de la RDC. De ce fait elle abrite comme du temps de Léopoldville les institutions politiques et administratives nationales, et celles de la ville-province de Kinshasa.

En plus des justifications de localisation originale des services, une dynamique cumulative s’y est ajoutée pour qu’elle soit aussi le siège des grands services publics (eau, électricités, etc.), des industries manufacturières les plus significatives, des banques et institutions financières, des hôtels de haut standing, mais aussi des grands commerces et des autres services marchands.

En tant que ville politico-administrative, Léopoldville comprenait trois Communes des coloniaux (blancs) et onze Communes des indigènes (noirs). Les coloniaux blancs habitaient les communes de Kallina, Limete et Ngaliema. Les indigènes ou peuplades noires habitaient les autres onze Communes restantes.

Léopoldville avait ainsi sa propre structure interne et sa géographie du pouvoir, de la démographie et des affaires. Kallina était la capitale dans la capitale. Elle était à la fois le siège des institutions politico-administratives de la Colonie, le siège des institutions dirigeantes de la Province de Léopoldville, le siège des services publics centraux, et des affaires. Kallina était aussi la Commune huppée de résidence des dirigeants et cadres coloniaux blancs. Elle était entourée ou protégée par un cordon sanitaire et sécuritaire fait d’espaces verts, de jardins, marchés, hôpitaux, camps militaires et ou policiers, et parfois d’écoles missionnaires.

Les indigènes qui formaient le gros de la population de la ville de Léopoldville faisaient un  mouvement migratoire quotidien : chaque matin vers Kallina pour le travail des bureaux, des chantiers divers, et du commerce ou, pour le marché dit central, les soins médicaux, etc. En fin de journée, la même masse humaine faisait le chemin retour comme des essaims d’abeilles vers leurs communes de résidence des indigènes. Et le réseau de transport était structuré pour répondre aux besoins quotidiens de main d’œuvre noire à Kallina, bien qu’une petite minorité se dirigeait vers Ngaliema ou surtout vers le quartier industriel de la Commune de Limete.

Le volume de trafic était faible vu qu’il n’y avait presque pas de voiture dans les Communes des indigènes. En outre, les rues dans ces communes étaient souvent étroites pour la circulation automobile, les maisons n’avaient pas de cour assez large pour y recevoir une automobile en parking. Les indigènes se déplaçaient à pied, à vélo, par bus de transport  public ou même par camion de leur employeur.

Les axes routiers qui conduisaient à Kallina étaient connus sinon contrôlés. Ils sont restés les mêmes soixante ans après, mais il y en a qui ne sont plus très praticables. Le trafic quotidien vers et en provenance de Kallina concernait environ une vingtaine de milliers de personnes, comme Limete industriel et les chantiers navals situés en dehors de Kallina tournaient à plein rendement.

La concentration des institutions publiques, des sièges des affaires privées et des résidences des dirigeants à Kallina en faisait ainsi une capitale dans la capitale. De sorte que dans la culture des indigènes, aller à Kallina était aller en ville ou aller au centre-ville. C’était leur langage, et c’était aussi le reflet de la culture de leur situation politique et socioéconomique par rapport à la Commune centre des décisions politico-administratives, économiques et financières, qui était aussi la zone résidentielle des détenteurs des deux pouvoirs politico-administratif et économico-financier, qui en plus étaient des blancs. Le rêve d’être et vivre un jour dans les quartiers huppés de Kallina s’enracinait ainsi dans la mentalité des indigènes. C’était leur aspiration ou du moins une des aspirations majeures des évolués.

Aujourd’hui Kallina s’appelle Gombe et jouit de tous les avantages coloniaux de l’organisation de la géographie politique, administrative, économique, financière, et socio-culturelle. Kinshasa est la Léopoldville coloniale, et la Commune de la Gombe dans son sein est le Kallina colonial. Les « indigènes d’aujourd’hui » parlent d’aller en ville ou au centre-ville quand ils quittent Masina, Nsele, Nd’jili, Lemba, Makala, Mont Ngafula ou Kintambo pour aller à la Gombe. La cartographie des institutions et services n’a pas changé, le même phénomène de polarisation cumulative s’est encore accentué, et la culture qui les accompagne n’a pas changé dans les postures mentales des nouveaux « coloniaux noirs et blancs » des Communes et quartiers des détenteurs du pouvoir politique et économico-financier, ni des « indigènes » habitants les quartiers des travailleurs et serviteurs, de l’informel et de la précarité.

Aujourd’hui le trafic quotidien vers et en provenance de la Gombe se chiffre à plus de deux millions de personnes sur un réseau routier réduit et avec plus de véhicules qu’en 1960. Cela crée des précipitations journalières et en particulier aux heures de pointe. Des embouteillages et souvent des véritables bouchons de circulation qui sont devenus le vécu quotidien des kinois. Le temps de route en minutes vers ou en provenance de Gombe est généralement le triple ou le quadruple de la distance en km. Trois facteurs y contribuent :i) le volume de trafic dû au nombre de ceux qui chaque jour veulent ou doivent aller à la Gombe, ii) l’étroitesse du réseau vers et en provenance de la Gombe, qui en plus n’est pas signalisé face à un volume de véhicules qui a énormément augmenté, iii) l’indiscipline et le non-respect des règles de circulation routière automobile, ou autre.

Centralité négative de Kallina/Gombe

Que vous l’observiez de Nsele-Kimbanseke-Matete sur le boulevard Lumumba, de Limete-Kingabwa sur la route des Poids lourds, de Mont-Ngafula-Lemba sur la route « By-Pass », de Ngaliema/Ozone-Kintambo sur le boulevard du 30 Juin, de Bumbu-Bandalungwa-Ngiringiri sur les avenues Kasavubu et du 24 Novembre, de Ngaba-Kalamu-Limete sur l’avenue de l’Université ou sur les boulevards Lumumba et Sendwe, de Kalamu-Kasavubu-Lingwala-Kinshasa-Bumbu sur les avenues Victoire, Bokassa-Kasavubu, Kabasele, Huileries, etc., le spectacle quotidien à Kinshasa reste le même.

Il est fait d’une ruée combative des masses des « indigènes d’aujourd’hui » vers la Gombe le matin, et du même mouvement de retour en fin d’après-midi. Il y en a qui se mettent à pied sur la route très tôt le matin avant le lever du soleil, tandis que d’autres se battent pour attraper une mototaxi ou un véhicule de transport public, quelles que soient les conditions du voyage quotidien. Aux heures de pointe, aller à la Gombe le matin et en revenir en fin de travail ou de la débrouillardise quotidienne est véritablement un parcours de combattant, le tout dans une ambiance stressante, faite de bruit non musical des « chailleurs », « kumba-kumbeurs », receveurs et même des passagers. À chacun sa manière de se défouler.

Ceux qui vont au travail ne peuvent fournir que 5 à 6 heures de travail au maximum. Ils arrivent entre 9 heures et 10 heures le matin, et doivent quitter le service avant 16 heures pour être sûrs d’avoir un moyen de transport ou d’aller à pied, et arriver à la maison au plus tôt à la tombée de la nuit.

Les multiples embouteillages sinon les bouchons quotidiens, doublés de l’impatience et de la mauvaise conduite routière des conducteurs automobiles et motards, non seulement perturbent la circulation, mais ont aussi un impact négatif sur la production des richesses de la ville et du pays. En effet, en travaillant moins d’heures que réglementé par jour, les employés et travailleurs surtout du secteur public, produisent moins de richesses en biens et services, tout en étant payés comme s’ils avaient travaillé les huit heures réglementaires pleines. C’est un coût sans contrepartie, surtout pour le secteur public. Et cela a aussi un impact négatif sur la disponibilité du service public aux privés, individus et entreprises. Ce qui a un impact négatif sur la productivité du secteur privé lui-même. Pour les transports, le coût en temps et en carburant est énorme, quand il faut le comptabiliser sur tous les embouteillages et le temps d’arrêt ou de détour.

Mais il y a aussi un coût social. Dans une ville où il y a un grand niveau de chômage, une pauvreté de masse et des inégalités socioéconomiques grandissantes, les populations pauvres connaissent d’abord un coût élevé de transport. Ceux qui ne peuvent y faire face se déplacent à pied. La dépense financière et physique (y compris la bataille pour se trouver une place dans un véhicule de transport ou sur une mototaxi), appauvrit doublement le travailleur, et cela a un impact sur sa santé, et sa productivité. Il se sent mentalement « pauvre indigène congolais » au service de Kallina/Gombe.

À l’image du pays dans son ensemble, Kinshasa est devenue un désert industriel. L’industrie manufacturière qui en faisait la quintessence économique n’existe plus, ni à Limete, ni encore moins à la Gombe ou à Ngaliema.  C’est dire que tous les mouvements et transports quotidiens des Communes des « indigènes » et des « semi-indigènes » sont dirigés vers la Gombe et en provenance de cette Commune. Cela explique les embouteillages et bouchons que l’on connaît, et la faible motricité des transports dans la ville de Kinshasa.

Gombe devient un  centre d’accumulation du pouvoir et de polarisation des richesses. Le reste des Communes des indigènes est à son service, et l’enrichit davantage. À l’Image de Kinshasa qui consomme plus qu’elle ne produit les richesses nationales ou y contribue, Gombe est une Commune qui consomme beaucoup plus la richesses nationale et même provinciale qu’elle n’y contribue. La qualité des magasins et des produits et services vendus, comme celle des restaurants sont loin de portée pour les masses qui vivent dans les autres Communes des « indigènes congolais ».

La ruée matinale des individus habitants des autres Communes vers et en provenance de la Gombe est doublée de la ruée institutionnelle. Beaucoup de ceux qui lancent ou installent leurs affaires veulent le faire à la Gombe. C’est là qu’il y a proximité avec les décideurs des institutions publiques et privées. Cela ouvre non pas seulement des opportunités d’affaires, mais aussi de différentes formes de « coop » comme les congolais  l’entendent. Par ailleurs cela donne un statut ou un standing du fait d’avoir son bureau de travail ou son siège à la Gombe. D’où une certaine ruée institutionnelle vers la Gombe.

La Commune s’enrichit de cette double ruée aussi bien financièrement que techniquement et matériellement. Elle prive les autres Communes de ces opportunités et contribue à les appauvrir. Un processus d’inégalités cumulatives s’installe entre elle et les autres Communes, car le  mouvement de ruée vers Gombe est un processus cumulatif de polarisation de pouvoir et de richesse, et donc des inégalités intercommunales. La centralité de Kallina qui avait sa logique dans une société coloniale est devenue négative à Kinshasa, et doit perdre sa logique, et son ossature politico-administrative et économico-financière de la période coloniale.

 

À la recherche des solutions

La construction des sauts-de-mouton est sans doute conçue comme une solution au problème des embouteillages quotidiens pour désengorger la circulation et le transport urbain à Kinshasa. Le problème n’est pas de savoir si les ressources financières sorties du Trésor public ont effectivement eu le résultat escompté lors de leur dépense, ou de savoir si dans leur niveau actuel de réalisation, les résultats en question correspondent à la valeur des fonds dépensés. Ce qui est légitime.

Le problème dans ce cadre est plutôt de savoir si la construction des sauts-de-mouton programmés allait résoudre le problème de décolonisation de Kinshasa-Kallina pour en faire une vile capitale nationale reflétant sa place et son rôle dans la vision de la RDC de demain à construire. Cela ne semble pas être le cas, et il est peu évident que la question ait même été posée en ces termes. Le désenclavement de la ville (en fait de la Commune de la Gombe) semble être simplement un processus de renforcement de la structure coloniale de la ville, un colmatage plus qu’une réponse constructive d’un autre modèle de changement de la structure la ville. Gombe se trouvera renforcée dans ses atouts nationaux et provinciaux actuels, qui trouvent leur origine dans la logique coloniale.

J’aimerais affirmer que la vision du Congo de demain à construire est reflétée dans, et portée par un espace géographique dans les différentes dimensions de sa configuration téléologique. Il en découle une géographie politico-administrative, qui définit le mode de localisation des niveaux des institutions de gouvernance du pays. Il en découle aussi une géographie économique qui définit le mode d’implantation des activités économiques minières, industrielles, agricoles, financières, commerciales, des réseaux routiers et ferroviaires, de protection des ressources environnementales et naturelles, etc. en vue de construire un tissu économique et un espace national intégrés. Il en découle enfin une géographie de la population et de ses modes de concentrations. C’est de cette vision du devenir comme base ou fondement, que l’on peut définir le plan d’aménagement du territoire, et pas avant elle ni sans elle.

C’est dans ce cadre qu’on peut définir la place et le rôle de la capitale nationale à construire ou renforcer demain, et la configuration géographique de ses institutions fonctionnelles. En l’absence ou ignorance de ce travail stratégique préalable, la construction des sauts-de-mouton ne vise qu’à accélérer ou faciliter les déplacements quotidiens des masses vers et en provenance de la Gombe. D’ailleurs une bonne partie de ces ouvrages sont construits ou prévus sur les axes internes à la Commune de la Gombe ou sur ceux qui y conduisent directement ou indirectement. Il s’agit donc essentiellement de renforcer la géographie institutionnelle coloniale de la ville, et du rôle de Kallina/Gombe dans cette configuration, avec tous les méfaits de cette centralisation et polarisation cumulative. On est et on sera loin du compte, même si ces ouvrages sont réalisés, et les dépenses justifiées.

L’autre solution semble être venue d’un expert architecte. Selon les médias, Pierre Coudiaby, l’architecte sénégalais était venu vendre au Gouvernement congolais, un projet d’extension de la ville de Kinshasa, il y a quelques mois. Fort de l’exemple sénégalais d’extension de la ville de Dakar, il a su faire tout son marketing pour allécher les décideurs congolais. Il y a deux mois, une délégation gouvernementale composée de deux Ministres au moins, s’est rendue à Dakar pour continuer les discussions sinon pour signer l’accord. Personne ne connaît encore le contenu de ce marché en perspective. Personne ne connaît non plus le contenu du projet même d’extension de la ville de Kinshasa qui serait en discussion. C’est pourtant quelque chose d’important, qui concerne la vie, l’être et le devenir de la ville, de la nation et surtout des habitants de Kinshasa. Le projet devrait être porté à leur connaissance en vue d’avoir leur opinion, ou du moins celle de leurs représentants. Cela ne peut se gérer ou se cuisiner en marmite fermée.

Mais quelle que soit la nature et la forme de cette extension, elle ne peut être qu’une vue à court terme et sans boussole, qui risque de faire du copier-coller à quelques petites retouches près pour faire semblant de contextualiser du déjà vu ailleurs. En l’absence d’une définition claire et partagée de la vision de la RDC de demain et de sa géographie politique, économique, socioculturelle, démographique, et environnementale, ainsi que de la place, du rôle et de la configuration spatiale qui en découle pour Kinshasa, procéder à un gigantesque projet d’extension de la ville relève d’une gouvernance à vue, sinon peu ou pas stratégique du tout. Les promoteurs immobiliers et les banques qui les ont appuyés dans les constructions de l’extension de la ville de Dakar font face aujourd’hui à un certain nombre de problèmes, dont le manque de demandeurs d’appartements n’est pas le moindre.

Revenons à la question de départ qui est une question de fond : la décolonisation de Kinshasa pour la sortir des tripes et de la logique de Léopoldville, et Gombe de celles de Kallina. À ce sujet, j’ai une double proposition : i) au niveau des institutions nationales et ii) au niveau des institutions provinciales.

  1. La géographie des institutions nationales

Kinshasa est la capitale politique et administrative du pays, et toutes les institutions de gouvernance ont leur siège à Kinshasa. En cela il n’y a pas de problèmes majeurs. Mais du point de vue de la géographie politique et administrative de la ville, le problème apparait du fait que toutes ces institutions sont localisées à la Gombe, bien que certaines d’entre elles soient depuis peu délocalisées dans la Commune proche de Lingwala plus par préexistence des infrastructures fonctionnelles, cadeau des partenaires au développement pour autre objectifs, que par décision politique de reconfigurer cette géographie.

L’actuel gouvernement compte un peu moins de soixante-dix ministres toutes catégories confondues. Je rappelle qu’il y a six catégories de ministres : Premier Ministre, Vice-Premier  Ministre, Ministre d’État, Ministre, Ministre Délégué et Vice-Ministre. Chacun d’eux a un cabinet composé au bas mot, en moyenne d’une dizaine de conseillers, chargés de mission et autre personnel politique attaché au ministre. Il faut leur trouver les espaces de travail, les équiper et leur donner les moyens de travail et de mouvement. Ils veulent tous rester à la Gombe, dans les bâtiments de l’État ou dans les locaux loués. Cela renforce les embouteillages et les ruées vers et en provenance de la Gombe.  Une petite poignée d’entre eux a pu trouver où se caser avec leurs cabinets politiques dans les environs du Palais du Peuple devenu siège du Parlement à Lingwala. Mais le gros du gouvernement reste à la Gombe.

Cette concentration est inutile, et contreproductive. Il faut repenser cela et mettre en place une répartition géographique décolonisée des institutions gouvernementales, et en particulier des Ministères. Cela demande du courage comme pour tout changement important, parce qu’il faut rompre avec l’architecture coloniale de la ville, ainsi que la culture qui la porte et s’est implantée et intériorisée dans les postures mentales. Il n’y a pas de raisons solides et suffisantes pour maintenir à la Gombe, les ministères et institutions à la clientèle sociale large comme l’éducation, la santé, etc., ni même certains ministères politiques et économiques qui n’ont pas de commerce fréquent avec la Présidence ou la Primature.

Je propose de délocaliser la moitié ou les deux tiers des ministères et services publics nationaux de la Gombe à d’autres Communes de la ville de Kinshasa. Dans cette perspective, on peut relocaliser cinq à six ministères par « District » de la ville : Tshangu, Mont Amba, Funa, soit 15 à 18 ministères. Le « District de la Lukunga où est située la Commune de la Gombe pourrait accueillir le reste, probablement avec un redéploiement vers d’autres communes pour certains services ou Ministères qui ne doivent pas tous rester à la Gombe. Kinshasa est le siège des institutions nationales, mais cela ne veut pas dire que c’est Gombe.

On peut faire une objection à cette proposition en invoquant la rapidité de réponse des  Ministres quand ils sont convoqués en réunion chez le Président de la République ou chez le Premier Ministre. Cela ne tient pas comme argument, car c’est la situation dans beaucoup de pays dans le monde. Je rappelle que la Présidence a toujours été basée à Ngaliema sauf sous les Kabila. Je rappelle aussi que le Ministère de la Défense et des Anciens Combattants a toujours trôné au monument Stanley devenu Mont Ngaliema. Je rappelle enfin que lors du conflit Mobutu-Malula, le Président Mobutu avait d’autorité exproprié Monseigneur Malula du nouveau bâtiment de l’archevêché à Kalamu, bâtiment dans lequel Mobutu avait placé le cabinet du Ministère de la Jeunesse et des Sports, non loin du stade Tata Raphael.

En plus, la reconfiguration de la géographie politique et administrative a des avantages réels. Elle va elle-même engendrer une transformation de la configuration des réseaux routiers et de circulation dans la ville. Il n’y aura plus de ruées massives vers et en provenance de la Gombe, ni d’embouteillages stressants, en plus des bienfaits que cette reconfiguration va apporter à d’autres Districts et d’autres Communes de la ville.

  1. La géographie des institutions provinciales

Si Kallina pouvait fonctionner comme capitale dans la capitale pour gouverner quatorze Communes dont la majorité était faite des Communes pour indigènes noirs, cette Commune devenue Gombe ne peut plus l’être pour la gouvernance de vingt-quatre Communes avec une population estimée à douze millions d’habitants. Il faut donc repenser aussi la localisation des institutions provinciales de gouvernance.

En outre, Gombe est très excentrique et demeure la Commune la moins peuplée de la Ville-province. Dans une logique de changement de l’ordre colonial, il n’y a plus de raison qui justifie la localisation des institutions provinciales de gouvernance à la Gombe. Elles sont très loin du gros de leur base sociale et citoyenne. Il n’y a plus de raison de maintenir dans cette Commune le gouvernorat, les  ministères provinciaux et l’Assemblée provinciale. Il en est de même des services de sécurité ou autres services publics provinciaux.

On devrait plutôt penser la relocalisation de ces institutions hors de la Gombe, dans des Districts ou Communes plus ou moins au centre géographique ou démographique de la ville, ou même réparties entre deux Districts, ou deux Communes des Districts différents.

En conclusion

Opérer des changements est toujours difficile en décision comme en actes concrets. Car cela bouscule et dérange les intérêts établis, politiques et économiques, qui se nourrissent de l’ordre actuel des choses. En outre cela bouscule et dérange les habitudes, comportements et schèmes mentaux en place. Il y a sans doute des décisions faciles et d’autres difficiles. Mais il faut les prendre, compte tenu des enjeux et objectifs visés, surtout quand elles peuvent sembler difficiles.

Décoloniser Kinshasa, et transformer sa géographie politique et administrative en est une. Les institutions de décisions et de gestion publique doivent montrer qu’elles sont pour une gouvernance de proximité et non être perchées sur la « montagne » de la Gombe, demandant au gros de la population de la ville qu’elles sont censées servir, de faire la gymnastique journalière de montée et descente avec tous les aléas et risques physiques et non physiques qui y sont liés, et ce, dans un rapport de dépendance. Il faut « démocratiser » l’implantation géographique de ces institutions. Pour les institutions nationales, bien que servant tout le peuple congolais, elles doivent le montrer physiquement dans leur positionnement à Kinshasa : être physiquement et idéellement près du peuple. Pour les instituions provinciales, ce doit même être une obligation politique et économique de ne plus être excentriques, mais plutôt de se recentrer dans la ville.

Il en découlera une reconfiguration des circuits quotidiens de déplacements, et la pression sur la Gombe va rapidement tomber. Il y aura une équité dans la répartition de la richesse de Kinshasa entre les différents Communes et Districts. Les effets d’attraction et d’entraînement jouant, les nombreux services publics et privés (financiers, bancaires, commerciaux, etc.) se répartiront différemment suivant la nouvelle configuration géopolitique de la ville. Les axes routiers qui connectent ces différentes institutions dans leur nouvelle localisation seront valorisés à l’avantage des Communes de destination et de transit, et au plaisir des populations de ces Communes et Quartiers, qui verront ainsi des opportunités d’épanouissement s’ouvrir pour elles. La circulation s’en trouvera améliorée très sensiblement.

C’est dans cet esprit qu’il faut repenser l’idée d’extension de la ville de Kinshasa envisagée dans le projet en machination. Je rappelle que comme l’aménagiste ou le planificateur, l’architecte est d’abord un technicien, tout expert qu’il peut être. Si vous lui demandez de vous faire un plan d’une maison ou d’une construction quelconque, un paysage du jardin ou plan d’aménagement de l’espace communautaire, un plan de développement du pays ou de la province, logiquement et professionnellement il ne le peut pas. Il a besoin que vous lui définissiez au moins les grandes lignes de ce que vous voulez, du projet de votre rêve, du concept de votre vision. C’est alors qu’il va le traduire en dessin et langage architectural, en schéma directeur d’aménagement ou en plan de développement, avec éventuellement deux ou trois scenarios pour votre décision finale, parfois assistée des conseils de l’expert qu’il est. Mais jamais avant que vous définissiez ce que vous voulez faire ou devenir.

S-T, le 8 mars 2020.

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