Thème: La révision du Code minier: Contexte, objectifs et défis. Animateur: Prof. Justin Kankwenda. Intervenant: Me Nestor Mukendi. Lieu: Bureaux de l’ICREDES

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RÉVISION CONTROVERSÉE DU CODE MINIER

Contexte, objectifs et défis

Le Code minier du 11 juillet 2002 a été révisé le 9 mars 2018. Une controverse s’en est suivie entre les sociétés minières et l’État. Dans les semaines précédant la signature de cette loi, les dirigeants de ces sociétés ont fait connaître, davantage que leurs craintes et appréhensions, leur indignation et désapprobation. Ils ont indiqué que la loi est déséquilibrée en leur défaveur, voire inique.

Malgré tout, la loi a été promulguée. Mais, soucieux de détendre le climat, le ministre des mines a convoqué un atelier pour élaborer les modalités d’application de la loi.

L’ICREDES a organisé une conférence avec un expert, Me Mukendi Mukendi Ntantamika, du barreau de Kinshasa-Gombe. Ce fut le mercredi 11 avril 2018. Thème de la conférence : “LA RÉVISION DU CODE MINIER – CONTEXTE, OBJECTIFS ET DÉFIS”.

CONTEXTE HISTORIQUE ET ACTUEL

  1. LE PASSÉ RÉCENT

Le 11 juillet 2002, un Code minier extrêmement libéral est promulgué, en remplacement de l’Ordonnance-loi n° 81-013 du 2 avril 1981. Ceci intervient’ dans un contexte historique particulier. L’État congolais est politiquement affaibli et économiquement menacé de banqueroute. « Pour relancer les secteurs porteurs de croissance », plusieurs codes du pays sont révisés au pas de charge : Code du travail, Code des hydrocarbures, Code forestier, Code foncier, Code des investissements, Code minier…

Tous ces codes sont des lois élaborées et adoptées par un parlement nommé, promulguées par un chef d’État “de consensus” et, enfin, mises en application par un gouvernement de compromis. Soucieux d’attirer les investisseurs, le Code minier fait une part belle aux intérêts de ceux-ci : rentabilité élevée, stabilité financière et sécurité juridique. Les intérêts économiques, fiscaux, financiers, sociaux et environnementaux du pays sont à l’arrière-plan.

  1. LA CONTROVERSE ACTUELLE

Les cours mondiaux des principaux minerais congolais d’exportation (cuivre et cobalt en têt) ont amorcé une remontée remarquable surtout depuis le second semestre de 2017. La tonne de cuivre, par exemple, passe de 45 $US à 12 $US. Bien plus, les facteurs à la base de cette évolution semblent structurels et à long terme : l’irruption de l’automobile électrique et la perspective de sa généralisation, associées à l’explosion des télécommunications, de l’informatique et de la micro-électronique, semblent résolument s’inscrire dans une tendance lourde.

L’État congolais croit à une longue ère de prospérité qui pointe. La classe dirigeante se remet à rêver à la rente minière comme à une aubaine pour financer la reprise en main du pays et la consommation publique, tant le budget de l’État congolais reste minable. Ils sont d’autant plus déterminés à profiter de cette manne qu’ils se souviennent d’avoir signé à tour de bras des conventions minières léonines entre 2002 et 2012.

Mais les sociétés minières se font discrètes et peu bavardes. Elles ne sont pas dans l’euphorie. Elles suivent de fort près l’évolution du projet de loi minière au parlement.

“Aux critiques émises au dernier Forum d’Indaba mining 2016 par les opérateurs miniers sur la révision [en RDC] du code minier dont on attendait alors la promulgation, écrit Me Mukendi, le ministre [congolais] de mines avait lancé une pique : « la révision du code minier est un feu de brousse, ceux qui n’ont pas de racines solides seront emportés et la brousse va redevenir verte ». − La brutalité de cette déclaration, enchaîne Me Mukendi, est caractéristique du contexte socio-politique tendu dans lequel a été adoptée et promulguée la loi du 09 mars 2018 modifiant et complétant le code minier.”

La rentabilité des sociétés minières semble n’avoir été entourée d’un souci particulier. Deux explications éclairent une telle attitude : 1° la loi vise à ne pas abandonner à la seule jouissance des entreprises minières le surplus des rentes ; 2° il y a comme une opinion confusément partagée dans le pays selon laquelle les sociétés minières guère contrôlées par l’État ont plusieurs tours dans leurs manches, surtout pour se garantir une forte rentabilité par une conjoncture extérieure des plus favorables ; 3° l’intérêt du Congo aux yeux des investisseurs ne peut fléchir dans la longue perspective qui se dessine avec une demande mondiale soutenue des produits du sous-sol.

Dans un tel contexte mondial et national, l’État congolais vise des objectifs précis à travers l’évolution qu’il imprime à la législation minière.

LES OBJECTIFS DE L’ÉTAT CONGOLAIS

De la loi, il ressort que les dirigeants congolais poursuivent les objectifs ci-après :

  1. Capter la rente minière

La loi vise principalement à ne pas abandonner aux seules entreprises minières le surplus des rentes provenant de l’augmentation des prix des minerais sur les marchés extérieurs. L’État congolais aspire de toutes ses forces à collecter le maximum de ressources fiscales, douanières, domaniales, administratives et de portefeuille. Mais il est conscient − et le fait clairement savoir − que le trésor public subit d’immenses pertes de recettes. Les trous béants dans les finances publiques sont difficiles à boucher. La difficulté résulte de l’incivisme fiscal rampant, de la pratique courante et généralisée des fraudes et évasions fiscales, et du réflexe devenu commun de détournement des deniers publics, de corruption et de concussion. Le pays baigne dans une vaste culture de l’argent facile et de l’enrichissement sans cause.

La fiscalité congolaise se concentre et s’acharne sur les contribuables qui sont à portée (ou sans couverture politique spéciale, ou relevant de l’économie formelle). Mais la même fiscalité respecte la tranquillité des contribuables qui sont “hors de portée” (ou couverts par une quelconque protection politique, ou relevant de l’insaisissable économie informelle). C’est de là que vient la pratique des institutions et des administrations qui consiste et à rajouter sans fin de nouveaux impôts et taxes, et à doubler ou même à tripler les taux des prélèvements fiscaux, de façon brusque et inattendue. Pour se prémunir contre une telle pratique, les sociétés d’extraction ont toujours exigé (et parfois obtenu) que dans le Code minier il soit inscrit une “garantie de stabilité”, souvent sur une période allant jusqu’à 10 ans.

Mais, cette fois-ci, au nom de la maximisation des recettes fiscales, le Code révisé qui vient d’être promulgué le 9 mars 2018 a réduit de 10 à 5 ans la fameuse “garantie de stabilité” aux plans fiscal, douanier et cambial, la supprimant purement et simplement pour ce qui relève de la soumission des opérateurs miniers aux lois à venir.

Cette disposition heurte et choque l’ensemble de la profession minière, déjà surprise et indisposée par le relèvement des taux d’impôts et taxes, d’une part et, d’autre part, par l’augmentation à 60% au moins de la part du revenu en devise devant être rapatriée.

  1. Évoluer vers la nationalisation du capital dans les mines

L’objectif d’introduire le capital congolais dans le secteur d’extraction minière est d’une justesse incontestable. Mais il intrigue quant à la façon spécifique dont l’État congolais le poursuit dans le Code minier du 11 juillet 2002, dans le projet de loi déposé au parlement en mars 2015 et dans le Code promulgué le 9 mars 2018.

En effet, l’objectif est en 2002 très timide et fixé à 25% des parts sociales pour les Congolais ; mais en l’absence d’une évaluation dans l’intermède, il finit par être relevé à 50% des parts sociales en 2018. En outre, ses conditions et procédures de réalisation ne sont guère précisées ; et il en va de même pour le mode d’évaluation des progrès et difficultés dans la mise en œuvre. Enfin, cette nationalisation partielle du capital concerne principalement les comptoirs d’achat ou de vente des substances minières, et les sociétés de transformation des minerais. Par contre, les sociétés extractives ne sont concernées que pour 10% du capital social et en faveur des personnes physiques.

En définitive, l’objectif de nationalisation partielle du capital social dans les mines semble de peu d’importance. L’État lui-même n’envisage pas de pousser à la création des joint-ventures congolaises dans les mines, en passant par des associations entre le capital public et le capital privé national. Il est peu porté à stimuler les sociétés minières à incorporer les capitaux congolais.

  1. 3. Transformer localement les minerais

Cet objectif va dans le sens favorable à la diversification économique, à l’augmentation de la valeur ajoutée locale et à la multiplication/diversification des emplois. Mais il semble que peu d’attention, d’organisation et de soins sont consacrés à le faire aboutir.

L’objectif visant la transformation locale des substances minières ne semble donc pas être porté par des politiques et des programmes appropriés. L’État semble ici se contenter de formuler un vœu.

  1. 4. Renforcer la contribution au progrès social et à la protection de l’environnement

À cet effet, deux fonds sont à constituer par les sociétés minières, selon des dispositions pertinentes du Code minier promulgué le 9 mars 2018. Il s’agit d’une provision à constituer en faveur du développement communautaire. Il s’agit également d’un Fonds en faveur des générations futures. Au-delà, des taxes nouvelles ont été créées, spécialement en rapport avec l’environnement : taxe de déboisement, taxe d’implantation sur les installations classées de catégorie 1A, taxe rémunératoire annuelle sur ce même type d’installations, taxe de pollution sur les mêmes installations.

Ces dispositions du Code minier semblent aller dans tous les sens. Mais la préoccupation d’augmenter le niveau de ponction et de multiplier les formes de prélèvement semble prendre le dessus sur les considérations sociales et environnementales. En effet, il tombe sous les sens que les taxes seront versées directement au trésor public. Mais on peut également parier que les fonds et provisions constitués par toutes les entreprises minières en leurs livres finiront par être périodiquement collectés et reversés dans le compte général du trésor. De là, ils seront affectés indistinctement aux dépenses publiques. Pourquoi n’est-il pas créé, d’emblée, des comptes publics spéciaux, destinés à recevoir les contributions des sociétés minières, pour les générations futures et pour l’environnement ?

  1. Meilleur contrôle de l’État sur l’activité et les concessions minières

Cet objectif n’est nulle part formulé explicitement dans le Code minier. Ce silence ne peut s’expliquer par l’absence de ce souci au niveau de l’État. Mais, bien au contraire, on peut comprendre que ce silence est intimement lié à l’absence d’une expertise nationale expressément constituée à ce sujet, au souci d’éviter des dépenses pour ce type de mission, et à l’absence de garantie quant à l’efficacité des contrôles et audits. Les sociétés minières elles-mêmes ne seraient pas enthousiastes de recevoir des missions officielles d’audits et de contrôle. Officiellement, leur attitude réservée est justifiée par le souci d’éviter des tracasseries.

Et pourtant, sans contrôle efficace de l’État, la gestion minière ne va pas sans de fortes tentations de contourner les normes légales, notamment en matière de facturation, d’authenticité des pièces comptables, de transactions financières et commerciales, de déclarations fiscales et douanières, etc. En réalité, un climat de suspicion croisée règne entre l’État et les sociétés minières. Pour des raisons diamétralement opposées, celui-là et celles-ci sont d’accord de ne pas insister sur les audits et le contrôle.

Le résultat est effarent. Pour se couvrir contre l’insécurité en matières de législation, de fisc, de droits et taxes douaniers… les sociétés minières sont peu respectueuses des normes. En face, l’État se croit par moments tout permis, estimant que les sociétés minières guère auditées n’offrent aucune garantie de respect des normes légales : c’est bien cette suspicion qui explique largement la tendance des pouvoirs publics à tirer le maximum de ressources des sociétés minières, sans se soucier outre mesure ni de la rentabilité de celles-ci, ni de l’attractivité du pays.

DÉFIS ACTUELS ET FUTURS

Les défis actuels et futurs sont, pour les entreprises minières, liés à la baisse du niveau de sécurité, et à la “boulimie financière de l’État”. Pour l’État congolais, le principal défi est lié au manque criant d’ambition politique dans l’utilisation de la rente minière et, surtout, le peu de contrôle exercé sur l’activité minière.

  1. DÉFIS AU NIVEAU DES COMPAGNIES MINIÈRES

1.1. Baisse du niveau de sécurité

C’est ce qui ressort nettement lorsqu’on compare le Code de mars 2018 à celui de juillet 2002. En effet, déjà dans le projet de loi déposé en 2015, il était envisagé les mesures ci-après : 1° maintien de la garantie de stabilité sur une durée de 10 ans, mais UNE garantie uniquement applicable aux dispositions fiscales, douanières et cambiales ; 2° même garantie maintenue pour les droits miniers acquis avant le Code de 2002, mais cette garantie sera celle prévue à l’article 276 al. 2 du Code minier de 2002, et sera réduite aux dispositions fiscales, douanières et cambiales sous lesquelles les droits avaient été obtenus. Toutes les autres dispositions nouvelles du Code minier de 2018, généralement plus contraignantes au plan financier, sont “d’application immédiate”.

1.2 “Boulimie financière de l’État”

La ligne de partage de la rente et des superprofits entre les compagnies minières d’origine étrangère et l’État hôte, a toujours constitué un sujet âprement discuté. Ce sujet est d’autant plus discuté au Congo que la transparence et la traçabilité de la gestion minière ne sont guère au rendez-vous, en l’absence des procédures de contrôle appelées à les garantir pour toutes les parties en présence.

Les sociétés minières sont naturellement portées à exagérer toutes les charges et à minimiser les produits et les revenus. En face, l’État est naturellement porté à minimiser les charges déclarées par les opérateurs miniers et à estimer les résultats et les revenus plus élevés qu’ils ne sont déclarés par les compagnies. De façon compréhensible, l’accusation de “boulimie” est donc réciproque, aussi longtemps que la gestion des contrats miniers ne baignera pas à l’évidence dans la transparence et la traçabilité.

  1. DÉFIS AU NIVEAU DE L’ÉTAT CONGOLAIS

2.1 Manque d’ambition politique avec la rente minière

L’État congolais est sous la pression des besoins immédiats face à un pays immense sans infrastructures et une population à 70% très pauvre. Cette pression est d’autant plus forte que le budget public ne franchit pas le plafond modique de 95 $US par habitant. On est donc tenté de concéder que tout ce qui tombe dans les comptes du trésor soit prioritairement consacré à faire fonctionner l’État, au profit des premières obligations régaliennes : défense et sécurité, fourniture des services de base (éducation, santé, protection sociale, information…) et grandes dessertes collectives (voies de communications, eau, énergie, transport, habitat…).

En réalité, cependant, on comprend moins bien en cet État l’absence d’ambition politique pour sortir un jour de ce marasme, notamment en allouant des augmentations de rente minière à un programme qui, même à défaut de diversifier l’économie, élargirait la base de l’économie minière qui fournit la rente. Au total, les ressources s’épuisent et la biodiversité s’appauvrit, sans grande perspective pour le pays.

2.2 Peu de contrôle exercé sur l’activité minière

Le renforcement de la connaissance et du contrôle publics sur l’activité minière semble demeurer un objectif à propos duquel et l’État et les compagnies minières ne déclarent que des demi-vérités. Pour se dédouaner de l’instabilité de son cadre juridique et de ses interférences intempestives, inefficaces et mal préparées dans le secteur minier, l’État présente comme excessive la liberté garantie aux sociétés minières. Pour dissuader l’État d’améliorer son contrôle, les compagnies font savoir que ce contrôle est déjà tellement élevé, fréquent et diversifié qu’il finit par devenir une tracasserie.

La réalité paraît loin de ces opinions contradictoires. D’une part, l’État ne se donne pas les moyens appropriés de contrôle sur l’activité minière, et les compagnies s’en frottent les mains. D’autre part, les sociétés minières étrangères redoutent de la part de l’État un contrôle systématique et professionnel sur leurs activités, et l’État s’en contente : il veut s’éviter le coût et la discipline qu’implique ce contrôle, et surtout il souhaite multiplier des incursions et des ponctions à l’aveuglette.

CONCLUSION

Le climat n’est pas sain dans le secteur minier. De part et d’autre, on prêche avec zèle les vertus d’un dialogue entre l’État et les compagnies. Les appels au dialogue se multiplient et se font insistants, surtout après la promulgation de la loi minière du 9 mars, modifiant et complétant le Code minier du 11 juillet 2002.

Sans préjudice des conclusions de l’atelier organisé récemment sur les modalités d’application de cette loi, il est impératif, pour l’État et pour les compagnies, de s’avouer entre partenaires que, tant que l’État congolais ne se donnera pas les moyens appropriés en expertise propre, en finances et en professionnalisme pour auditer et contrôler efficacement l’activité minière, et tant que le même État ne se donnera pas d’ambition politique pour mettre fin, un jour, à la monoproduction minière grâce aux revenus tirés des mines, – bref, tant l’une et l’autre conditions ne seront pas au rendez-vous, le climat de suspicion réciproque exposera toujours les compagnies minières à l’instabilité et à la querelle de partage de la rente minière, et poussera l’État congolais dans une posture irrédentiste de surenchère fiscale.

Et le Congo continuera à trinquer…

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