Thème. Transfèrement des eaux de l’Oubangi vers le Lac Tchad. Animateur: Prof. DonatienOLELA. Intervenant: Prof. Félicien KABAMBA. Lieu: Bureaux de l’ICREDES

A la tribune du « Mercredi de l’ICREDES » du 14 mars 2018 à 15h, était invité à prendre la parole, le Professeur Félicien KABAMBA MBAMBU qui a traité du « Transfèrement des eaux de l’OUBANGUI vers le Lac Tchad ».

Dans l’introduction à son exposé qu’il a qualifié d’analyse à portée hydropolitique régionale, le conférencier a commencé par rappeler l’existence des sept grands bassins fluviaux africains : Nil, Niger, Tchad, Congo, Orange, Okavongo et Limpopo, chacun étant doté d’une commission de gestion des eaux. En dehors du Bassin du Congo, tous les autres rencontrent de gros problèmes de dégradation hydrique.

Concernant le cas précis du Lac Tchad, l’un des plus grands lacs du monde, il s’est considérablement réduit durant les quatre dernières années.

En 1963, il couvrait un secteur de plus ou moins 25 000 km² selon les spécialistes. Depuis 2008, cette superficie n’est plus estimée qu’à environ 2500 km², soit une régression moyenne de 500km2/an ou 1,37km2/jour. L’emprise de son bassin hydrographique actif s’étend théoriquement sur presque 970.000 km2, mais le principal apport en eau, soit environ 70 %, lui vient du fleuve Chari et de son affluent, le Logone, tous deux prenant leur source en République Centrafricain. Les 85% des affluents orientaux du fleuve Chari, qui proviennent de Centrafrique, connaissent, à ce jour, des étiages très sévères.

Quatre pays, le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad, ont le lac Tchad en partage. Ce qui totalise une population d’à peu près 185 millions de personnes, dont 30 millions de riverains directs du lac. Toutes les documentations consultées attestent que jusqu’en 1963, le lac Tchad était encore commun à ces quatre pays.

Au jour d’aujourd’hui, seuls le Cameroun et le Tchad sont riverains du lac Tchad. Des images satellitaires, corroborées par des relevés cartographiques de la Nasa en 2001, confirment cet état de fait.  L’ancienne aire  du lac intégrant le Niger et le Nigeria est reprise soit par la végétation, soit par des étendues de sable, soit par les installations humaines.

Actuellement 80% des eaux du Lac Tchad proviendraient du réseau hydrographique nord de la RCA, communément appelé le bassin du Chari. Certains cours d’eau comme l’Aoukalé, le Bahr Aouk et le Bahr Kameur disparaissent pendant une grande période de l’année. Il ne subsiste alors que quelques poches d’eau qui s’étiolent. La pêche, qui était la principale activité de cette partie, en a pris un sérieux coup, aujourd’hui amplifié par les barbaries nommées rebellions et tout ce qu’elles entraînent.

Au regard de ce qui vient d’être dit, il ne reste plus qu’à confirmer l’hypothèse de la « guerre de l’eau » (titre de l’ouvrage de l’Honorable Modeste Mutinga Mututshayi) quand on en mesure l’importance et le poids des enjeux hydro-politiques. Lorsqu’on sait qu’il faut 4 500 litres d’eau pour produire 500 gr de viande de bœuf, 8 000 litres pour fabriquer une paire de chaussures et 400 000 litres pour produire une automobile, on comprend mieux que la ressource est menacée. Et le Pentagone comme les grandes agences occidentales de sécurité ont bien jugé que laisser à l’écart de l’eau potable plus d’un milliard de personnes, c’est faire le lit du terrorisme.

Parmi les causes de la dégradation hydrique du Lac Tchad, le conférencier en a retenues deux essentiellement : la surexploitation des eaux du Lac; la baisse drastique du débit de ses affluents. Les autres causes spécifiques sont dues respectivement à : l’avancée du désert, la chute de la pluviométrie (entre 15 et 20%), l’irrigation qui a quadruplé entre 1983 et 1994, la construction des ouvrages d’art (les deux barrages sur le Komadougou et le Yobé au Nigeria, la digue de Maga au nord Cameroun), le déboisement ainsi que la croissance démographique, la population autour du lac ayant doublé en 10 ans seulement.

Les  conséquences de la dégradation de l’eau du Lac Tchad sont multiples :

– disparition progressive de la pêche, hausse du chômage et de la pauvreté dans la région autour du lac, le déplacement de plus de 2 millions de personnes du fait de l’insécurité, etc.

– cohabitation entre terrorisme et sécheresse.  Une étude faite en Syrie par l’IRD révèle qu’il y aurait une coïncidence entre la carte de la sécheresse et la carte des territoires contrôlés par l’EI. Et l’on ne voit pas bien comment le remplissage du lac va mettre un terme à cette spirale d’insécurité.

Comme solution envisagée, particulièrement à la suite de la conférence d’Abuja figure notamment le transfèrement des eaux de l’Ubangi vers le Lac Tchad. Question à se poser : est-ce faisable quand on sait que notre pays qui dispose de plus de 30%   d’eaux douce de l’Afrique connait le taux de prélèvement par habitant le plus faible d’Afrique, alors que les pays du Sahel affichent des taux deux fois plus élevés ?

L’Oubangui, qui mesure 2500 km depuis la source de l’Uélé, draine un bassin d’une superficie de 488.500 km2. La durée de la navigabilité de l’Oubangui est passée de 12 mois en 1960, à 4 à 6 mois aujourd’hui. C’est donc l’affluent qui souffre le plus de la dégradation hydrique.

La RCA qui fait transiter ses marchandises par Brazzaville est le pays le plus durement frappé par cette dégradation.

Le premier projet Transaqua de 1980 était pharaonique puisqu’il consistait à aller prendre l’eau dans le fleuve Congo, quasiment au niveau du lac Tanganyika, et de l’amener par un canal navigable de 2 400 km jusqu’aux sources du fleuve Chari, qui la conduirait ensuite jusqu’au lac Tchad… Irréaliste ou surréaliste, l’esquisse est restée dans les cartons mais l’idée a survécu, d’où une version plus « légère »qui prévoyait la construction d’un barrage à Balbo sur l’Oubangui, permettant à la fois de produire de l’électricité pour la Centrafrique, et de dévier entre 5 à 10 km3 (5 à 10 % du débit) de l’Oubangui via un canal de plus de 300 km (seulement) vers le Chari.

En 2001, un groupe américain envisageait le lancement du projet Okapi. D’un coût total de 7 milliards de dollars,  ce projet consistait à pomper 2000 m3 par seconde les eaux de la rivière Uélé, pour alimenter le Moyen-Orient, par le canal d’un pipeline qui devait partir de Lisala en RDC, traverser la RCA pour arriver à Port-Soudan au Soudan.

Un autre projet envisagé dans les années 2001 fut celui d’un coût de 7 milliards de dollars en vue de pomper 2000m3/seconde dans les eaux de la rivière Uélé en vue d’alimenter le Moyen Orient.

Le tout dernier projet Transaqua est celui qui vient d’être lancé à l’occasion de la conférence d’Abuja tenue du 26 au 28 février dernier, à l’initiative de l’UNESCO, de l’Italie et du géant chinois Power China et qui réunissait les Présidents du Tchad, du Cameroun, du Niger et du Nigeria. Il est à noter que cette rencontre rappelle celle organisée en avril 2014 en Italie avec comme objectif la recherche des fonds pour sauver le lac Tchad.

La conférence a été marquée par la résurrection du projet vieux de 30 ans. Il faut lever 14 milliards de dollars.

Concluant son intervention, le conférencier a esquissé quelques orientations pour le futur, à savoir :

  • le fait pour le pays de disposer de plus de 25% d’eau douce continuera à susciter la convoitise car son approvisionnement constituera le défi majeur du 21è siècle ;
  • en tant que ressource épuisable, l’usage de l’eau requiert des règles de gouvernance rigoureuses ;
  • parmi d’autres alternatives, il y a notamment l’idée lancée par l’UA de construire la barrière verte en recourant à la nappe phréatique.

A titre d’échanges, de questionnements et de conclusions dégagés par l’auditoire, il convient de retenir les principales lignes de force suivantes.

Les questions environnementales sont par nature extrêmement complexes. Il y va de même pour les solutions qu’il convient d’y apporter. Une solution est dite complexe lorsque que son application contient le risque de rater ou aggraver le problème de départ. Ou lorsqu’elle n’exclut pas la possibilité de rajouter à ce dernier, ou greffe sur lui, d’autres défis tout aussi préoccupants. Ou, à tout le moins, lorsqu’elle ne fait que déplacer le problème de départ, le démultipliant et le généralisant sur un espace plus large.

Les experts du projet TRANSAQUA ne peuvent qu’être suspectés de superficialité dès lors qu’ils ont concentré sur les aspects technique et financier l’examen d’une question environnementale aussi complexe comme celle du dessèchement du Lac Tchad. Dans la presse, il est difficile de savoir où seraient passés les aspects aussi essentiels que ceux relatifs aux écosystèmes naturels du milieu et à leur équilibre ? Comment ces experts ont-ils pris en compte les aménagements et les installations anthropiques avec lesquels ces écosystèmes naturels ont, peu ou prou, et depuis longtemps, fait corps ? Dans quelle mesure aurait-on tenu compte des modes de peuplement, de la dynamique démographique et des us et coutumes locales en matière d’exploitation et de protection de ces écosystèmes ? Comment entend-on, avec les eaux prélevées sur le bassin du Congo, conjurer l’inexorable tsunami qu’est le désert du Sahara auquel le Lac Tchad a héroïquement résisté comme digue pendant plus d’un siècle, avant de céder ? Comment entend-on tirer profit des immenses nappes aquifères dont le Tchad est doté, notamment dans l’Ennedi, à quelques encablures de la région du Lac Tchad, ou dans l’immense partie méridionale du pays autour des agglomérations de Sar et de Moundou ?…

Non, en réalité, le bassin du Congo n’a aucune goutte d’eau de trop à céder à un autre immense écosystème naturel qui s’effondre. Il est déjà lui-même dans un équilibre de plus en plus menacé par le changement climatique et le recul du couvert forestier. La densité et l’immensité de l’hydrographie, les torrents et cascades fumantes des rivières, les immenses et spectaculaires cataractes sur le fleuve Congo et ses affluents, l’immensité des marais et espaces inondés que sont les baies et les pools, le débit moyen de 450m3/seconde à l’embouchure du fleuve, le grondement et la puissance des eaux qui se libèrent des hauts canyons … tous ces phénomènes naturels qui caractérisent le bassin du Congo ne devraient pas faire illusion et nourrir un faux orgueil de grandeur et de solidité. Ils  cachent au Congo une vulnérabilité fondamentale.

En effet, le fleuve Congo ne coule pas jusqu’à l’embouchure d’un seul trait, c’est-à-dire du seul fait de la gravitation ou du seul fait de la dénivellation progressive de son lit à partir de la source jusqu’à l’embouchure. Loin s’en faut. Le fleuve Congo existe et coule jusqu’à l’Atlantique sur un lit alternant des hauts et des bas. Sur de longs tronçons, en effet, les eaux du fleuve coulent grâce à leurs masses qui s’accumulent et se bousculent sans cesse dans les zones de très faible altitude qui jalonnent son parcours. Épinglons-en deux : la Cuvette Centrale  en amont et le Pool Malebo en aval (à moins de 1.000 km de l’embouchure).

La traversée de la Cuvette Centrale par les eaux du Congo n’est due qu’à la masse et à la pression immense des eaux venant de l’amont. En effet, la Cuvette Centrale est cette région circulaire du sud de l’Équateur en forme d’assiette profonde. Elle est faite des terres basses de 200 à 240 m d’altitude, et s’étend en terrasses étagées sur près de 400 km de rayon. Son pourtour n’a pas d’altitude uniforme. Il a un bec-exutoire situé en aval de Kwamouth, sur le pourtour sud-ouest de la Cuvette Centrale où le relief est le moins élevé. C’est d’ici que les eaux immenses que rassemble la Cuvette Centrale trouvent un sauf-conduit et coulent au sud, vers le Pool Malebo. Celui-ci représente aujourd’hui près de 450 km2, dans une vallée de limon et de sable fin où s’improvisent ça et là des collines aux sommets arrondis (Mangengenge, Mont- Amba, Binza-IPN, Kinsenso, Kindele, Mont-Ngaliema, Selembao, Mont-Ngafula…).

Bien que situé en aval du fleuve Congo, le Pool-Malebo surplombe la Cuvette Centrale (280-360 m d’altitude). Selon les vestiges (aujourd’hui à l’oubli et à l’abandon dans le Musée d’Archéologie de l‘Université de Kinshasa), la région du Pool fut couverte par un immense lac jusqu’au 8ème siècle de notre ère. Ici dans la partie basse située au sud du Pool Malebo (Beach Ngobila), le fleuve Congo a besoin d’une quantité phénoménale d’eau, et surtout de l’immense pression de ces eaux, pour réussir à se frayer un chemin étroit à travers la seule gorge qui s’offre comme passage : celle-ci est sur le tronçon en cascades de quelques 7 km allant du Palais de la Nation jusqu’au-delà des chutes de Kinsuka. À partir de ce dernier point, c’est principalement la force de gravitation qui mène les eaux de fleuve Congo en un puissant torrent jusqu’à l’embouchure, à travers un passage étroit qu’offrent la région des cataractes et la chaîne des Monts de Cristal. On comprend pourquoi ce dernier tronçon n’est pas navigable.

Au-delà de tous ces détails sur le lit du fleuve Congo, il convient de retenir un seul fait important : toute ponction d’eau où que ce soit sur les 4.670 km de parcours que couvre le fleuve Congo, constituerait une réduction sensible de la pression hydraulique, c’est-à-dire qu’elle serait une menace importante sur la capacité du fleuve à franchir le seuil de la Cuvette Centrale et du Pool Malebo pour pouvoir déboucher sur l’Atlantique. Autrement dit, détourner en permanence vers le bassin du Lac Tchad une quantité d’eau du bassin du Congo revient à provoquer un assèchement à terme de ce fleuve, d’abord entre Kinshasa et l’embouchure, plus tard au Pool Malebo lui-même et, enfin, dans la Cuvette Centrale.

Une telle perspective est une catastrophe environnementale, écologique et humanitaire aux conséquences incalculables. Elle serait incomparablement plus dommageable pour la RDC et le Continent que celle déplorée aujourd’hui suite à l’assèchement du Lac Tchad.

Les eaux du fleuve Congo ne sauraient être ponctionnées sans grandes conséquences dommageables qu’après l’embouchure, c’est-à-dire dans le demi-cercle de couleur grès que le torrent puissant du fleuve (40.000 à 60.000 m3 par seconde !) dessine sur quelque 50 km de rayon dans l’Océan Atlantique. À partir de ce demi-cercle, ces eaux à peine salées peuvent être ponctionnées et amenées au lointain par des conduites géantes. Les pays riverains des déserts de Namib et du Kalahari sont virtuellement les plus à même de bénéficier de ces eaux sur une moindre distance et au moindre coût. Mais il devrait y en avoir pour plusieurs pays et pour plusieurs destinations, y compris la destination du Lac Tchad en plein assèchement. Pour cette dernière destination, les experts du projet Transaqua feraient mieux de revenir à leurs calculettes pour dire combien de milliards de dollars supplémentaires il faudrait casquer pour d’immenses pipelines sur une distance de plus de 3.600 km. Agir autrement c’est, non seulement prendre le risque évident de ne résoudre aucun problème dans la région du Lac Tchad, mais c’est également créer un défi plus redoutable en perturbant les équilibres environnementaux et écologiques fragiles dans le bassin du fleuve Congo.

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